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Alors que le gouvernement cherche 11 milliards, petit retour sur la Niche fiscale Copé : le bouclier fiscal puissance 10 qui a couté 22 milliards sur trois ans.C’est le CAC 40 qui dit merci au gentil parlementaire.

La niche Copé, initiée par le politique du même nom.

 Elle exonère d’impôt sur les sociétés les plus-values liées à la cession d’une filiale possédée depuis au moins 2 ans.

En plus clair, il s’agit d’une défiscalisation qui a été votée pour éviter que les sociétés françaises (et notamment les holdings) ne s’exilent vers des cieux plus cléments (Pays-Bas par exemple). Ca ne vous rappelle rien ? Oui, c’est un peu une sorte de bouclier fiscal.

Mais nettement plus coûteux que l’autre : environ 22 Mds€ en trois ans là où "des experts" de Bercy ( qu’on nous dise lesquels pour éviter de les consulter ) estimaient que la mesure ne coûterait qu’un seul petit milliard par an ! Et qui a au final majoritairement profité aux grands groupes dans un bel effet d’aubaine. Là encore, ça rappelle quelque chose. Bref, pendant que 99% de l’attention se focalise sur le bouclier fiscal, symbolique et beaucoup plus parlant, la niche Copé a coûté 22 Md€ en trois ans, une somme qui aurait été bien utile en période de vaches maigres budgétaire. Une niche qui a été votée par la droite et le centre en une semaine avant les fêtes de Noël 2004.

Qu’est-ce que c’est ?

 La niche Copé s’inscrit dans une logique de défiscalisation progressive des plus-values sur les cessions de titres de participation détenus depuis plus de 2 ans. ??a parait compliqué comme ça mais c’est assez simple. Une société possède au moins 10% d’une autre société : on dit qu’elle détient des titres de participation de celle-ci.

Si la mère détient moins de 10% de la fille mais s’implique fortement dans la gestion, elle peut également revendiquer l’appellation de « titre de participation ». Si la mère vient à céder la fille, elle est censée payer un impôt sur la plus-value. C’est celui-ci qui a été défiscalisé.

 Prenons un exemple : Ma société, Quint SA, achète 15% de la société MyBlog SAS pour 300.000€. On dit que Quint SA possède pour 300.000€ de titres de participation dans MyBlog SAS. Trois ans plus tard, la société MyBlog SAS s’est bien développée et les 15% valent 1.000.000€. Je revends (ou plutôt ma holding perso, Quint SAS) mes participations et empoche une plus-value de 700.000€.

•Si j’avais gardé ma participation moins de 2 ans, j’aurai payé 33% d’imposition (le régime normal d’impôts sur les sociétés) soit 700.000€ x 33% = 231.000€

•Mais comme j’ai gardé ma participation plus de 2 ans, j’ai droit à un taux réduit. Avant le 1er janvier 2005, j’aurai du acquitter 19% d’imposition sur ces revenus soit 700.000 x 19% = 133.000€

•En 2005, premier changement de régime, mon opération n’aurait plus été taxée qu’à 15% soit 105.000€

•En 2006, nouveau changement de régime, ma taxation tombe à 8% soit 700.000€ x 8% = 56.000€

•En 2007, c’est la totale. Seuls 5% de la plus-value sont réintégrés dans le résultat de Quint SA, qui est normalement imposée à 33%. Soit une taxation de 700.000€ x 1.66% = 11.620€

 Bref, le régime normal d’imposition des sociétés exigerait que je paye un impôt de 231.000€ pour une plus-value de 700.000€. Le régime de faveur dû au fait que j’ai gardé mes titres plus de 2 ans me permettait de ne payer que 133.000€ au 31/12/2004. Une niche et 3 ans plus tard, l’imposition tombe à 11.620€. L’imposition est donc 20 fois moindre que le régime normal et a été divisée par 11 en trois ans.

 Des exemples plus concrets ? En 2007, Danone revend sa filiale "Danone Biscuit" et économise 500 millions d’impôt sur les sociétés (IS) en 2008 (l’IS se paye en décalé comme l’impôt sur le revenu). Pour Suez, c’est 800 millions de gagnés.

Impact

Des experts de Bercy avaient estimé que cette mesure coûterait moins d’un milliard d’euros sur 3 ans (0,434 Mds en 2006, 0,3 Mds en 2007 et 0,15 Mds en 2008).

Les évaluations ont été revues plusieurs fois à la hausse, pour atteindre 2 milliards en 2007, 12.5 Mds€ en 2008 et 8 Mds€ en 2009 ! Soit 22 milliards sur 3 ans.

 En 2009, la niche a bénéficié à 6.200 entreprises. Mais dix entreprises, à elles seules, ont capté 44% des coûts du dispositif (soit environ 400 millions pour chacune d’entres elles !) :

 Quant aux bénéficiaires, ils se recrutent pour l’immense majorité dans des grands groupes et si l’industrie a une part de 44%, les groupes financiers en ont profité à hauteur de plus de 25% :

L’effet d’aubaine est clairement visible sur le graphique où l’on voit que les plus-values réalisées augmentent fortement en même temps que la fiscalité descend :

 L’objectif affiché était de contrecarrer l’exil fiscal des groupes qui montaient des holdings à l’étranger pour loger leurs sociétés françaises. Est-il atteint ? Une note de la DGFIP faisait état d’une augmentation du nombre de holdings gérées par la direction des grandes entreprises, de 1.112 à 1.276 entre 2007 et 2010. Aucun lien n’est toutefois établi entre cette progression et l’exonération des plus-values. En tout cas, les coûts constatés lors des premières années d’application ne peuvent pas être la preuve de ré-installation de holdings puisque elles bénéficient de la mesure qu’au bout de deux ans ... il aurait donc fallu attendre 2009 pour en voir les pleins effets.

Donc, en gros, on a des grandes sociétés françaises qui utilisent des holdings dans des pays où les plus-values ne sont presque pas taxées (Pays-Bas par exemple). Pour les faire revenir, plutôt que d’harmoniser au niveau européen, on supprime l’imposition en France. En résumé, au lieu d’avoir des holdings qui ne paient pas de plus-values aux Pays-Bas, on a des holdings qui ne paient pas de plus-values en France. Et on y gagne quoi ? Sachant qu’une holding, ça n’est pas une usine, ça ne crée pas d’emplois, ça n’est qu’une coquille juridique avec quelques gestionnaires. Ca peut éventuellement payer des impôts. Eventuellement.

 On avait jusqu’au vote de la niche 10 à 15 milliards de plus-values taxées à 19% chaque année soit un produit de 2 à 3 milliards d’euros. Une fois l’effet d’aubaine initial passé, admettons que l’on double le nombre de holdings et le volume de plus-values. On aura alors 20 à 30 milliards taxés à 1.66% soit 300 à 500 millions d’euros par an. Pour que la loi ait un rendement positif, il faudrait que les plus-values de cession soit multipliées par 12 ! Ou alors que les holdings revenues en France ramènent des impôts.

Une niche adoptée en une semaine

On pourrait croire que pour des sommes pareilles, un débat de grande ampleur aurait été organisé. C’est peu de le dire. Le 10 décembre 2004, l’Assemblée Nationale dépose le projet de loi de finances rectificative pour 2004. Aucune mention de notre niche. Le 15 décembre, la commission des finances du Sénat dépose un projet d’amendement. Là voilà, notre niche, première apparition. Et là, la commission a mis le paquet. Environ 3 pages A4 avec un comparatif fouillé sur les autres législations européennes : 5 lignes sur l’Allemagne, 6 sur l’Angleterre, 2 sur l’Italie. Conclusion sans appel : « Il résulte clairement de cette comparaison un handicap de compétitivité pour la France, dans la compétition fiscale qui sévit entre grands pays industrialisés. » Suit une présentation de la niche, et un « au total, cette réforme constituerait une mesure de salubrité économique (...) pour un coût budgétaire à peu près nul en 2005 ».

 L’amendement est examiné le 17 décembre 2004 (qui parlait d’un train de sénateur ?) avec une intro de Hervé Gaymard, alors ministre des Finances (vous vous rappelez l’homme à l’appartement ). C’est Jean-François Copé en personne, ministre délégué au Budget et à la réforme budgétaire, qui prend le crachoir. Il nous informe qu’il bosse sur le sujet depuis quelques temps déjà et même dur (« Il nous arrive même d’apprendre vite, mais quelques heures supplémentaires nous ont tout de même été nécessaires pour travailler sur ce sujet »). Travail mené avec enthousiasme car JF avait été en fait victime d’un coup de foudre fiscal (« Je vous avais immédiatement fait part, de manière très intuitive, de mon grand intérêt pour cette mesure »). On sous-estime trop l’intuition en matière de fiscalité ...

 Copé explique ensuite qu’il ne peut que s’aligner sur nos amis européens dans le « le match entre "taxateurs" et "exonérateurs" » mais qu’il doit à son grand regret étaler sur trois ans la réforme (« J’aurais sans doute souhaité (...) aller plus vite, mais la situation de nos finances publiques commande une maîtrise tout de même très attentive de nos comptes. ») C’est vrai que la suite a montré combien JF Copé était soucieux de la maîtrise des comptes.

Aux remarques formulées par une sénatrice communiste d’ Indre-et-Loire : « Tout se passe comme si nous ne faisions qu’adapter en permanence notre législation fiscale à la seule logique des restructurations capitalistiques qui est à l’oeuvre dans notre pays et dans l’Espace économique européen. (..) Il conviendrait donc, selon certains, de laisser les détenteurs de titres jouer au Monopoly avec les emplois, les équipements, les usines (...)  ».

Copé répond : « il s’agit d’attirer sur notre territoire des entreprises qui sont susceptibles d’investir, d’embaucher et même —allons jusqu’au bout du raisonnement— de créer de la valeur ajoutée ». Il ajoute : « la compétitivité fiscale est évidemment un élément extrêmement important et, sur ce point, il faut bien le dire, ni vous ni moi n’avons inventé l’eau chaude » (c’est lui qui le dit, hein !), « une simple mesure de bon sens », « en aucun cas du dumping », ...

 Suite à la navette avec le Sénat , le Projet de Loi de Finance (PLF) rectificatif revient au Palais Bourbon chargé de la bombe fiscale à 22 milliards. Le tout est examiné le 22 décembre 2004 (vite, Noël approche !). Et là, c’est du débat de première bourre. C’est Gilles Carrez (UMP) qui présente l’amendement en une bonne minute et conclut par ce moment de bravoure : «  ?? toutes et à tous, je souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année. (Applaudissements sur les bancs de l’UMP et de l’UDF) ».
Jean-Louis Debré l’enjoint à activer : « Sensible à vos remerciements, monsieur Carrez, et dans le souci d’efficacité que vous invoquez, j’invite chacun à faire un effort de concision, un texte important devant encore être examiné après celui-ci. » . Le texte final est adopté le 22 décembre par la droite et le centre. Notre niche à 22 milliards en 3 ans a été adoptée en... une semaine !

Une démocratie indigente

Une loi votée en catimini, pratiquement sans débat. Estimée au départ à 1 milliards d’euros sur 3 ans et qui coûte si cher que Bercy s’en emmêle les pinceaux (disons entre 18 et 22 milliards en 3 ans). Un objectif pas vraiment clair et un résultat budgétaire clairement négatif. Aucune évaluation précise de son efficacité réelle. Amateurisme, conflit d’intérêts, copinage avec les milieux d’affaires ? Tout cela donne une bien piètre image de notre démocratie et de la gestion des deniers publics à l’heure où des sacrifices sont demandés à la population.

Article publié le 25 août 2011.


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