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Coût du capital : actionnaires gavés, salariés à la diète.

Trente années de partage de la valeur ajoutée se soldent par une explosion des dividendes versés aux actionnaires, tandis que la part revenant à la rémunération du travail a reculé.

Médias, économistes, commentateurs patentés, ils nous le répètent tous, jusqu’à l’overdose : si l’économie française décroche, la faute en incombe au «  coût du travail  ». Voilà trente ans qu’au nom de ce dogme un arsenal sans cesse grossissant de mesures budgétaires visant à alléger ce prétendu fardeau des entreprises est mis en œuvre. Loin de les remettre en cause, le gouvernement Ayrault en rajoute aujourd’hui une grosse louche, avec les 20 milliards du crédit d’impôt compétitivité.

Pourtant, les chiffres très officiels de l’Insee permettent d’établir un tout autre diagnostic. D’après les comptes nationaux des entreprises non financières, depuis le début des années 1980, le partage de la richesse créée n’a pas évolué à l’avantage du travail, bien au contraire : la masse salariale représentait ainsi, en 2012, 66,6 % de la valeur ajoutée, contre 72,9 % en 1981. À l’inverse, la part de la valeur ajoutée revenant au capital, sous forme d’intérêts versés aux banques et de dividendes octroyés aux actionnaires, a été multipliée par plus de 7, passant de 39,1 milliards d’euros à 298,6 milliards. Les seuls dividendes, qui pesaient 5 % de la valeur ajoutée il y a trente ans, en représentent 22,4 % en 2012.

Les entreprises versent donc près de cinq fois plus de dividendes actuellement que dans les années 1980, alors que, dans le même temps, elles ont comprimé la part du gâteau réservée au travail. C’est bien le capital qui a tiré son épingle du jeu. Et on peut constater que, crise ou pas, que la santé des entreprises soit bonne ou mauvaise, les actionnaires sont désormais toujours gagnants : leur rémunération est préservée et toujours à la hausse. Ce, alors que, selon la théorie libérale classique, ces financiers prennent des risques en investissant, et seraient donc exposés à de mauvaises fortunes. En réalité, les risques ont été transférés sur les salariés : l’emploi et la rémunération sont les véritables variables d’ajustement.

Autre constat essentiel : contrairement là aussi au discours dominant, la baisse relative du «  coût du travail  » ne s’est pas accompagnée d’un accroissement de l’investissement, celui-ci représentant en 2012 la même part de la valeur ajoutée qu’en 1981 (19,4 %).

Entretien avec Nasser Mansouri Responsable des études économiques pour la CGT paru dans le quotidien L’Humanité du 25 septembre 2013.

Il plaide pour un réexamen et une mise sous condition des quelque 200 milliards d’aides aux entreprises.

 Que pensez-vous des orientations budgétaires 
pour 2014, présentées comme 
un outil favorisant 
la croissance 
et la compétitivité ?

Nasser Mansouri :. Il faut être clair : 
ce budget ne rompt pas avec 
la politique d’austérité mise en place par ce gouvernement depuis dix-huit mois. Au contraire, il s’inscrit dans cette logique d’austérité qui n’est pas la solution mais le problème. Dès qu’il y a de l’austérité, loin de favoriser la croissance, cela affaiblit l’activité économique et 
la compétitivité. Aujourd’hui, on 
a un problème d’emploi, de précarité, de faiblesse des investissements. 
Les choix politiques et économiques doivent au contraire viser 
à augmenter le pouvoir d’achat des familles dont les revenus sont les plus modestes. Or, par exemple, 
en terme de fiscalité, c’est le contraire qui se passe. La pression est mise 
sur les revenus modestes dont les impôts sont en constante augmentation tandis que 
les détenteurs de capitaux ne sont pas mis à contribution. Nous sommes loin des promesses du candidat Hollande qui faisait de la finance 
son principal ennemi. Le compte 
n’y est pas.

 Les entreprises reçoivent environ 200 milliards d’euros d’exonérations 
et de cadeaux fiscaux. 
Que faudrait-il en faire ?

Nasser Mansouri. La plupart de ces aides sont accordées sans aucune contrepartie. L’idée initiale n’est pas mauvaise. Quand une entreprise est en difficulté, il faut l’aider. La question, c’est : comment aide-t-on ces entreprises et sous quelles conditions ? Toutes ces aides qui sont autant d’argent public, il n’y a rien pour savoir ce qu’elles deviennent. Il faut donc qu’il y ait un outil pour vérifier comment cet argent est utilisé.

Mais la pression du patronat est tellement forte qu’on a changé l’échelle des valeurs. On est passé d’une logique d’aide à une logique de droit et de dû. Les patrons considèrent que cette aide, produit de la solidarité nationale, est leur droit. Ce qui est dommage, c’est qu’un gouvernement socialiste accepte cette logique. La CGT demande depuis très longtemps une mise à plat des aides afin de vérifier chaque mesure et, en fonction des bilans, les supprimer ou les reconduire.

Il y a quinze jours, la Cour des comptes a ainsi ciblé les difficultés du crédit d’impôt recherche. En dépit d’aides importantes, l’effort de recherche et de développement par rapport au PIB n’a pas bougé en France. On reste à 2,1 points contre les 3 points qu’aurait dû permettre d’atteindre une telle aide.

 Quel rôle les salariés peuvent jouer 
au sein de l’entreprise pour changer 
ce rapport de forces favorable 
au capital au détriment du travail ?

Nasser Mansouri. Dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité-emploi (Cice), par exemple, le gouvernement a mis en place une sorte de comité 
de surveillance.

La CGT considère 
que l’on pourrait développer cette
 instance dans ces fonctions pour 
en faire un véritable observatoire 
des aides accordées aux entreprises. 
Si dans chaque entreprise, on a le droit de regarder les critères d’attribution, ce serait une avancée notable. Autre chose, depuis une dizaine d’années, le montant des dividendes donnés aux actionnaires progresse plus vite que l’augmentation des salaires, ce n’est pas normal. Si les salariés avaient un droit de regard sur le budget de l’entreprise, ils pourraient favoriser l’investissement.

Pour 
les y aider, le gouvernement pourrait utiliser la fiscalité comme outil pour renforcer l’investissement productif. Par exemple, lorsqu’une entreprise 
qui fait des bénéfices privilégie 
les dividendes à l’investissement,
il faudrait qu’elle paie plus d’impôts.

Article publié le 26 septembre 2013.


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