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Imaginez qu’on annonce, du jour au lendemain, une baisse de 30 % des retraites. C’est la réalité de la crise financière aux Etats Unis.

« Imaginez qu’on annonce, du jour au lendemain, une baisse de 30 % des retraites »

Interview et reportages parus dans le quotidien L’Humanité du 10 octobre 2008.

 La crise financière prouve combien le système de retraite par répartition est préférable à celui par capitalisation, selon Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

 Le système de retraite par capitalisation ne montre-t-il pas ses limites ?

Henri Sterdyniak. Depuis vingt ans, des voix s’élèvent en Europe, face au vieillissement de la population, pour que nous passions à un système de retraite par capitalisation ou avec une forte dose de ce système. L’idée est que les placements sur les marchés financiers sont très rentables et permettent d’avoir une retraite satisfaisante en épargnant relativement peu. L’exemple américain montre que c’est totalement illusoire. Les placements financiers ont une rentabilité extrêmement instable, donc cela ne peut pas servir de base à une retraite telle que souhaitée par les travailleurs, c’est-à-dire une retraite assurée qui évolue comme les salaires. Dans les pays anglo-saxons, deux systèmes existent. Soit l’entreprise capitalise pour ses salariés, et ceux-ci sont alors en très grand péril, parce que leur entreprise peut faire faillite ou, en cas de crise boursière, peut se retrouver étranglée et dans l’impossibilité de faire face à ses engagements. Soit le salarié prend les risques et sa retraite peut se réduire drastiquement en cas de crise boursière.

 Le système par répartition nous a-t-il protégés de cette crise ?

Henri Sterdyniak. L’avantage de cette crise, aujourd’hui, c’est qu’elle prouve qu’en France aucun salarié de cinquante, cinquante-cinq ans n’a été victime directement de la crise, alors qu’aux ??tats-Unis, elle a frappé fortement les futurs retraités. La Bourse américaine a chuté de 30 %. Les gens qui comptaient sur leurs placements boursiers pour financer leur retraite ont vu leur perspective de retraite baisser d’autant. Imaginez qu’en France, on annonce, du jour au lendemain, que les futures retraites vont baisser de 30 %. Aux ??tats-Unis, la menace est extrêmement forte sur les conditions de vie des ménages. Les possibilités de consommation des gens dépendent de façon importante de ce qui se passe en Bourse. Quand elle chute de 30 %, c’est la catastrophe.

 La crise ne prouve-t-elle pas la pertinence du système par répartition ?

Henri Sterdyniak. Cette crise montre que le système par répartition est beaucoup plus sûr, beaucoup moins traumatisant pour les individus qui n’ont pas besoin de lire les pages de la Bourse pour savoir quel sera le montant de leur retraite. Le système financier se montre d’une telle instabilité qu’on s’aperçoit qu’il vaut mieux loger les gens en HLM plutôt que les endetter à mort et ensuite découvrir qu’ils ne pourront pas rembourser. Il vaut mieux une université gratuite avec des impôts élevés plutôt qu’un système où chacun doit épargner pour que son enfant aille à l’université, à condition qu’il n’y ait pas de krach boursier. Il vaut mieux un système de santé plus ou moins public, plutôt que la santé dépende de l’épargne des gens. On peut espérer que la crise va permettre de réévaluer l’avantage respectif du système libéral et du système « social-démocrate ».


Le cauchemar des retraités américains

Témoignages . Ils habitent New York. Après avoir travaillé toute leur vie et cotisé dans des fonds de pension spéculatifs, ils se voient dépossédés de leurs biens.

New York (??tats-Unis), envoyé spécial.

 Bob, un grand gaillard de soixante-cinq ans encore dans la force de l’âge, pourrait vivre relativement tranquillement dans son petit appartement du Bronx, à New York. Rien d’extraordinaire chez lui. Deux petites pièces, « suffisantes pour y vivre avec ma femme », comme il aime à le dire, comme s’il voulait s’en convaincre. Des souvenirs amassés une vie durant, des photos qui rythment le temps, posées sur tout ce qui ressemble à une étagère, un canapé qui n’a pas encore rendu l’âme mais n’est pas tout neuf, une table en bois bon marché recouverte d’une petite nappe, des fenêtres avec rideaux et, enfin, le panier du chien, une épouvantable petite boule de poil.

Bob n’exprime pas grand-chose. Juste le souhait de vivre paisiblement en ne demandant rien à personne, comme il est de coutume aux ??tats-Unis. Après plusieurs décennies passées à Cincinnati (Ohio) comme employé municipal - un endroit sur lequel il était tombé après son service militaire et où il a rencontré celle qui allait être sa femme -, il est revenu à New York : c’est là qu’il est né. Pour boucler la boucle, en quelque sorte.

Mais Bob ne décolère pas. « Quand je vois ce qu’il est advenu de mon 401 K, c’est comme si on me donnait des coups de poing dans le ventre », lance-t-il avec une colère d’autant plus redoutable qu’il fait des grands gestes avec ses bras de malabar.

Le 401 K, c’est ce fameux système d’épargne retraite géré par des fonds de pension qui investissent cet argent dans des actions et des obligations. En 2001, la faillite retentissante d’Enron avait déjà ruiné des milliers d’épargnants. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le déficit de ces fonds spéculatifs s’élevait, en 2005, à 360 millions de dollars. « J’avais tout bien prévu, tout planifié », explique-t-il après s’être servi une rasade de whisky. « Mais ces PDG avides et rusés, ces agents de change de Wall Street qui se remplissent les poches sans se soucier de la loi, des gens ou de la justice, m’ont volé. » Pour aggraver le tout, il vient d’apprendre que la ville de Cincinnati envisageait de modifier les accords passés sur les retraites avant septembre 2007, notamment en ce qui concerne le domaine de la santé, pour limiter les dépenses prises en charge.

 Bob aurait pu rajouter que cette crise financière le touche de plein fouet parce que les retraites traditionnelles ont pratiquement disparu aux ??tats-Unis, obligeant chacun à gérer son propre plan de retraite d’entreprise et à placer une partie de ses économies sur les marchés financiers. Les chiffres fournis par le centre de recherche sur les retraites de l’université de Boston (Center for Retirement Research) parlent d’eux-mêmes : en 1980, 60 % des salariés bénéficiaient d’un régime de retrait traditionnel et 17 % devaient monter leur propre plan d’épargne. En 2004, 11 % des salariés disposaient d’une retraite garantie et 61 % dépendaient de leur épargne individuelle.

 Sue, cinquante-cinq ans, est veuve. Elle vit à Staten Island (New York). Après trente-cinq ans de bons et loyaux services comme secrétaire, elle a pris sa retraite « parce que, dit-elle, je n’en pouvais plus. Je voulais profiter un peu de la vie, m’occuper de mes petits-enfants. ??a m’aurait fait plaisir et ça aurait bien rendu service à ma fille qui a du mal à élever ses deux enfants toute seule. Mais ce que je perçois est trop juste, surtout qu’il faut que je me soigne et que je ne peux pas payer une assurance santé ». John, son compagnon, explose : « Tout ça me rend malade. Quand donc le gouvernement va-t-il reprendre le contrôle et faire payer ces salopards ? » La couverture vieillesse (Medicare), censée protéger les seniors, ne s’appliquent qu’à partir de soixante-cinq ans et, pour les retraités tels que Sue, les assurances sont beaucoup trop chères. Conséquence, ils ne se soignent pas. Comme Bob, elle a appris avec horreur que l’argent qu’elle avait placé a perdu plus de 20 % de sa valeur ces dernières semaines. Sue n’a plus qu’une solution : elle va essayer de se remettre au travail, ce qui n’est pas évident alors que les chiffres du chômage pour le mois de septembre révèlent l’approfondissement de la crise. Dans ces conditions, la campagne présidentielle n’est pas vraiment sa préoccupation.

 Selon le Bureau fédéral des statistiques sur le travail, 29 % des personnes approchant les soixante-dix ans travaillaient en 2006, contre 18 % en 1985. Contrairement à ce que voudraient faire croire les tenants du système, ce n’est pas vraiment par plaisir que ces salariés triment encore. Pour beaucoup, repousser le départ à la retraite est devenu la seule solution, par ces temps de crise à Wall Street, et de remettre à plus tard les achats importants. Selon un sondage récemment paru dans la presse, plus de la moitié des Américains craignent d’avoir à travailler plus longtemps pour compenser la baisse de valeur des placements destinés à assurer leur retraite. «  Je pense que la dégringolade des marchés financiers montre à quel point cette approche de la retraite rend les gens vulnérables », dénonce Alicia Munuel, directrice du centre de recherche sur les retraites. « Leurs allocations dépendent des variations du marché. Ils peuvent se comporter de façon tout à fait responsable et malgré tout être durement pénalisés. »

 En cascade, tous les secteurs sont touchés. ?? New York même, tous les budgets sont revus à la baisse. D’abord parce que la simple idée d’impôts est déjà considérée comme « socialisante » dans ce pays. L’approche des élections ne fait que renforcer ce rejet, les taxes étant jugées comme « impopulaires ». Le budget fiscal 2010, déjà prévu en déficit de 2,3 milliards de dollars, était très dépendant du secteur boursier (7,1 milliards de dollars du total budgétaire). Le déficit pourrait s’accroître de 1 à 2 milliards selon le Manhattan Institute. En prévision, tout est revu à la baisse, de 2,5 % cette année à 5 % l’année prochaine. Les futurs retraités sont d’ores et déjà dans la ligne de mire de la municipalité qui les emploie. Dans l’entourage de Michael Bloomberg, on ne cache pas que « le maire n’écarte aucune option, étant donné les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons ». Il s’agirait notamment de créer un nouveau niveau de retraite, beaucoup moins avantageux financièrement. Ce qui n’est pas du goût de Randi Weingarten, président de la Fédération unie des enseignants (United Federation of Teachers). « Alors que nous entrons dans la tourmente, la ville ne devrait pas s’en prendre à ceux qui en sont la cheville ouvrière, dénonce-t-il. Nous sommes dans une situation où les multimilliardaires ont créé la crise des hypothèques, celle du crédit et beaucoup de nantis en ont profité. Il serait fou que les travailleurs soient les sacrifiés. » Pour Arthur Cheliotes, représentant syndical d’une autre catégorie de salariés, « c’est une mauvaise solution. Trop d’Américains n’ont pas assez d’argent pour partir à la retraite alors que nous voyons le 401 k se transformer en 101 k ».

 Les conseillers en investissement, corbeaux de l’économie à l’aise au soleil comme sous la pluie, y vont maintenant de leurs recommandations toujours aussi malodorantes. Les épargnants américains se doivent d’examiner leur portefeuille d’actions et d’obligations pour vérifier si le risque financier correspond bien à leur situation et au nombre d’années qui les séparent de la retraite ! Un dernier chiffre, qui émane du principal expert en matière budgétaire auprès du Congrès américain : la crise financière a anéanti quelque 2 000 milliards de dollars (1 470 milliards d’euros) épargnés par les ??tats-Uniens dans leur plan de retraite au cours des quinze derniers mois. Bob peut bien dire dans la rue, « Nous avons payé pendant que nous travaillions et maintenant nous voulons avoir ce qu’on nous a promis », il se heurte toujours à un mur, celui de Wall Street.

Article publié le 12 octobre 2008.


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