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Lucie Aubrac : "Résister c’est créer "

Héroïne de la Résistance, Lucie Aubrac, qui s’est éteinte mercredi soir 14 mars à l’âge de 94 ans, était restée une militante inlassable de la mémoire de cette époque.
Vivant à Paris avec son mari Raymond Aubrac, 92 ans, l’une des dernières personnalités de la Résistance à avoir connu Jean Moulin, Lucie Aubrac se rendait fréquemment jusqu’à ces dernières années dans les collèges et les lycées pour témoigner.

En décembre 2004, son nom avait été donné à un collège de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) pour "associer son nom à la liberté et à l’audace", deux qualités dont elle aura fait preuve toute sa vie.

Née le 29 juin 1912, dans une famille de vignerons bourguignons, Lucie Bernard, agrégée d’histoire et militante aux Jeunesses communistes, est professeur à Strasbourg où elle rencontre Raymond Samuel - qui deviendra Raymond Aubrac dans la clandestinité - qu’elle épouse le 14 décembre 1939.

En août 1940, elle organise une première fois son évasion d’une prison de Sarrebourg (Moselle).
A l’automne 1940 en zone libre, elle rencontre à Clermont-Ferrand, le journaliste Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui organise un petit groupe clandestin "La dernière colonne" et fait paraître un journal clandestin Libération, noyau de Libération-sud, un des premiers mouvements de résistance.
Lucie Aubrac enseigne au lycée de jeunes filles Edgard-Quinet de Lyon jusqu’en novembre 1943, date de sa révocation pour ses convictions gaullistes.

A partir de novembre 1942, elle dirige dans la région lyonnaise un corps franc qui organise des évasions. Par un judicieux stratagème, elle parvient en mai 1943, à faire libérer son mari, emprisonné depuis mars. Le 21 juin 1943, Raymond Aubrac est arrêté par Klaus Barbie avec Jean Moulin, chef du Conseil national de la Résistance (CNR) et une dizaine de résistants à Caluire, près de de Lyon.

Quatre mois plus tard, les armes à la main, Lucie Aubrac réussit à libérer son mari et treize autres résistants lors d’un audacieux coup de main durant leur transfert.
Recherchée par la Gestapo, elle gagne Londres le 8 février 1944, avec son petit garçon Jean-Pierre, et accouche quatre jours plus tard d’une fille Catherine.

A la Libération, Lucie Aubrac rejoint son mari, nommé commissaire de la République (préfet) à Marseille, puis représente le Mouvement de libération nationale à l’Assemblée consultative à Paris. Celle qu’Emmanuel d’Astier de la Vigerie avait surnommée "Madame conscience" est également membre du jury de la Haute Cour de justice du procès Pétain.

Elle poursuit son engagement militant, pour Amnesty international, puis dans les rangs du Réseau Femmes pour la parité et s’était récemment mobilisée pour les sans-papiers.

En mars 2004, avec plusieurs figures de la Résistance, comme l’ancien dirigeant communiste Maurice Kriegel-Valrimont ou l’ethnologue Germaine Tillion, elle avait signé un appel aux jeunes générations à réagir devant la remise en cause du "socle des conquêtes sociales de la Libération".
Grand officier de la Légion d’honneur, elle était l’auteur de "Ils partiront dans l’ivresse" (1984), et de "Cette exigeante liberté" (1997).


Elle avait préfacée en 2006 un ouvrage collectif : "L’autre campagne. 80 propositions à débattre d’urgence " édit La Découverte, dans laquelle elle nous invitait à réagir, et à faire en sorte que les programmes électoraux s’élargissent au delà de la communauté de besoins à celles des désirs :

Quelle audace réconfortante ! Quand le poids des injustices devient trop lourd, il faut changer. Mais ceux qui nous le disent ici n’ajoutent pas qu’eux seuls seraient capables de résoudre tous les problèmes si on leur confiait le pouvoir : ce ne sont pas des candidats à une élection. Autorisés, dans leur domaine, par leur compétence et expérience, ils savent ce qui va mal et pourquoi ça va mal. Ils dénoncent quand il le faut les responsables et ils proposent comment peut être rétablie l’efficacité, comment peut être rétablie la justice. Voilà une vraie démarche citoyenne.

Dans une société pourtant si riche, mais qui a perdu son élan vital et qui ne propose à ses enfants rien qui puisse les mobiliser, la leçon d’anatomie découvre l’égoïsme, le repli sur soi, le peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général au bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie. Nous savons qu’attaquer la démocratie nourrit l’intolérance et le racisme.

Nous nous souvenons qu’il y a peu, car soixante ans n’est pas si long, notre pays sortait d’une catastrophe. Il avait été pillé, rançonné, détruit dans ses ??uvres vives pas des forces brutales, et nous avions su résister, c’est à dire comprendre et oser. Pour retrouver la liberté et les valeurs de la République, bien des hommes et des femmes avaient donné leur vie. Cette résistance avait catalysé l’élan vital qui nous avait permis de remettre debout un pays de citoyens capables de rétablir une démocratie créatrice.

Résister c’est oser. Oser, c’est créer. Encore faut-il une feuille de route, établie après l’analyse de la situation.

Mais regardons de plus près cette feuille de route qui a, il y a soixante ans, rétabli et rénové notre démocratie : le Programme du Conseil national de la résistance (CNR). Elle prépare, en effet, les principales réformes qui ont été réalisées après la Libération : nationalisation de grandes entreprises, de banques, de services publics ; création de la Sécurité sociale pour tous les salariés, liberté de la presse, etc. Elles étaient les têtes de chapitre du programme de gouvernement de ceux qui ont alors dirigé notre pays, avec le Général de Gaule et les principaux dirigeants de la Résistance : mouvements, syndicats, partis politiques.

Mais ces réformes, souvent fondamentales, ne sont proposées que dans la seconde partie du Programme du CNR. La première consiste à définir les moyens de la lutte qui permettra de les entreprendre : comment il fallait s’organiser pour mettre la démocratie au pouvoir, en luttant contre l’ennemi occupant le pays, et ses auxiliaires au service de ce qu’on appelait « l’Etat Français », le régime pétainiste de Vichy. Ainsi fut conduite la lutte pour la Libération, lutte militaire et politique. C’est après la victoire, obtenue grâce aux efforts et aux sacrifices de nos alliés, les Soviétiques, les Britanniques et les Américains, avec les combats des Français, que la seconde partie du Programme du CNR put être appliquée.

Si nous réfléchissons aux conditions actuelles, nous devons conclure que cet Autre Programme qui nous est proposé dans cet ouvrage ne pourra être appliqué qu’après une autre forme de lutte, contre des adversaires et des obstacles qui ne sont plus, heureusement, des forces armées ou des polices mais qui ne sont pas, pour autant, faciles à surmonter.

Il faudra d’abord connaître ces obstacles. Certains sont autour de nous : l’égoïsme, la résignation, la peur du changement, l’implantation solide, dans notre pays, de forces politiques, sociales et financières qui ont le plus grand intérêt à ce que rien ne change. Elles disposent d’un large éventail de moyens matériels et psychologiques. D’autres sont le résultat de l’état actuel du monde, le produit de transformations historiques à l’échelle internationale qu’il n’est pas lieu de décrire ici. Mentionnons seulement l’emprise mondiale des forces financières, avec la constante accumulation d’énormes masses de capitaux, aidées par la révolution des communications, et qui cherchent partout des placements rentables financièrement et/ou politiquement. Ces forces, elles aussi, ont le plus grand intérêt à ce que rien ne change.

L’ouvrage qui nous est ici proposé définit un Autre Programme. Est-ce une utopie ? Une utopie réaliste alors, fondée par des connaissances accumulées et des engagements de terrain. Une utopie qui ne livre pas la voie toute tracée vers une société idéale mais exprime la possibilité de résister à l’ordre établi, à l’ordre promis.

On résiste contre un état de choses, mais on résiste aussi pour créer quelque chose. Définir les injustices actuelles et montrer de quels matériaux pourrait être construit un monde meilleur, c’est créer les premières conditions pour que s’engage le combat victorieux.

Résister, c’est créer.

Lucie Aubrac et Raymond Aubrac

Article publié le 15 mars 2007.


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