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Fraude et évasion fiscale : articles parus dans l’Humanité des débats du 31 mai 2013. Articles d’Alexandre Derigny ( CGT finances ), Eva Joly ( député Européenne EELV ), Jean Merckaert, Rédacteur en chef de la Revue Projet.

Plus de 1 000 milliards d’euros 
par an échappent à l’impôt dans 
les 27 pays de l’Union européenne 
du fait de l’évasion fiscale. 
Un manque à gagner qui pèse lourdement sur les finances publiques, sur l’économie 
et sur les esprits, en ces temps 
de rigueur budgétaire.

La contradiction est si criante que François Hollande lui-même s’est trouvé contraint 
de donner le change. 
Le 22 mai dernier, il promettait la fin de l’impunité pour 
tous ceux qui, réfugiés 
dans les paradis fiscaux, échappent à l’impôt. Quelques heures plus tard, la Commission européenne douchait les espoirs 
du président de la République. Les données bancaires resteront
des secrets bien gardés. 
Les groupes multinationaux pourront poursuivre leur politique d’optimisation fiscale. A l’heure où les gouvernements européens doivent trouver 
de nouveaux revenus, 
laisser prospérer ce marché 
de l’opacité est de moins 
en moins accepté. Face à l’inertie 
des États, la mobilisation 
des citoyens est indispensable.


C’est l’ensemble de la chaîne du contrôle fiscal qui doit être renforcé pour être efficace.

Par Alexandre Derigny, secrétaire du syndicat CGT Finances.

Le consentement à l’impôt est un élément indissociable de la lutte contre la fraude fiscale. En effet, pour que chacun soit convaincu du bien-fondé de cette cause, il est essentiel de percevoir l’impôt comme une garantie d’émancipation des peuples plutôt que comme une contrainte.

Pour ce faire, il faut tout d’abord simplifier le système fiscal pour le rendre compréhensible. Il faut ensuite totalement réformer la fiscalité pour la rendre plus juste et efficace.

Il faut aussi davantage de transparence et de contrôle sur l’utilisation des fonds publics collectés et bien plus y associer les citoyens. C’est à ce prix que les opinions publiques feront davantage pression sur leurs gouvernements pour réellement s’attaquer au fléau de la fraude fiscale. En effet, si le mercredi 22 mai, François Hollande a assuré que «  ceux qui pensaient échapper à l’impôt en se réfugiant dans des paradis fiscaux doivent comprendre que le temps de l’impunité est terminé  », comme on pouvait malheureusement s’y attendre, le sommet européen sur l’évasion et la fraude fiscales a accouché d’une souris

Même si le sommet a demandé à la Commission de faire des propositions législatives en juin, il a échoué sur l’essentiel : exiger sans délai l’échange automatique d’informations des données bancaires.

L’Autriche et le Luxembourg ont campé sur leurs positions et ont refusé de lever en totalité le secret bancaire. Ils se sont réfugiés derrière l’exigence que d’autre pays, comme la Suisse, leur emboîtent le pas. Inutile de dire que ce n’est pas pour demain !

A l’heure où tous les gouvernements européens imposent des sacrifices immenses à leurs propres citoyens, il est inconcevable que l’on puisse transiger sur les moyens à mettre en œuvre contre la fraude fiscale internationale.

De plus, les timides avancées constatées lors de ce sommet ne couvrent pas l’ensemble du champ de l’évasion fiscale. Rien sur l’optimisation fiscale des entreprises par exemple.

Dès l’ouverture du Conseil européen, le président Herman Van Rompuy avait donné le ton : «  Nous ne parlons pas ici d’harmonisation fiscale.  » Pourtant, pour être réellement efficace, la lutte impitoyable qu’il faut mener contre les paradis fiscaux doit être associée à une harmonisation des législations fiscales et sociales.

Alors que la fraude fiscale est évaluée dans l’espace européen à 1 000 milliards d’euros, il est évident qu’il faudra bien plus de volonté politique de la part des partenaires européens.

Sur la scène nationale, le ministre du Budget a appelé les contribuables français possédant un compte non déclaré à l’étranger à régulariser leur situation afin d’échapper à un durcissement des sanctions. Un projet de loi renforçant la lutte contre la fraude fiscale doit être débattu en juin au Parlement. Cela ne sera pourtant pas suffisant. La législation fiscale s’est copieusement compliquée et les schémas de fraudes sont toujours plus perfectionnés, et s’il est effectivement nécessaire de muscler l’arsenal législatif, ce sont surtout les moyens humains qui font cruellement défaut.

Depuis plus de dix ans, les gouvernements successifs ont détruit 3 000 postes par an à Bercy. Ces suppressions massives d’emplois ont gravement endommagé la capacité des services à assumer leurs missions.

Si cela est dommageable du point de vue de l’utilité sociale de ces emplois, alors que la fraude fiscale est responsable de plus de la moitié du déficit public français, c’est tout simplement stupide s’agissant de l’utilité économique de ceux-ci.

Espérons qu’au gré de l’actualité, le gouvernement ne cède pas à la tentation d’une annonce démagogique de création de quelques postes de vérificateurs qui seraient «  financés  » par de nouvelles suppressions massives d’emplois dans le ministère.

C’est l’ensemble de la chaîne du contrôle fiscal qui doit être renforcé pour être efficace, de la gestion des dossiers à la recherche d’informations, à la programmation des affaires, au contrôle en lui-même, au traitement des contentieux, jusqu’au recouvrement des sommes dues.

Les citoyens doivent porter l’exigence d’une administration de Bercy remplissant efficacement ses missions de contrôle de l’économie. C’est un enjeu d’égalité devant l’impôt mais aussi un enjeu économique majeur.


Faire vivre l’enfer aux paradis fiscaux !

Une perte de recettes de plus de 1 000 milliards par an pour les 27 pays de l’Union européenne, voilà l’ampleur d’un phénomène qui s’est considérablement développé depuis les années 1980 et la globalisation des marchés financiers. Rien que l’an dernier, les flux vers les paradis fiscaux, qui se comptent en trillions d’euros, ont augmenté de 16 % !

Ces mécanismes aident les fortunes à se concentrer, alors que d’un autre côté les salaires se contractent. Aujourd’hui, plutôt que de lutter contre l’évasion fiscale, on impose des cures d’austérité partout en Europe. C’est inacceptable et surtout, en réalité, ce n’est pas tenable.

Mettre un terme aux paradis fiscaux n’est pas qu’une question technique. Faire en sorte que l’ensemble des entreprises et des citoyens européens contribuent équitablement au financement de nos modèles sociaux plutôt que de les sacrifier à la finance est un choix politique fondamental, qui ne concerne pas que les pays riches. Faire disparaître les paradis fiscaux, c’est aussi permettre aux pays en développement de fournir des services publics de base à leurs populations plutôt que de voir leurs ressources confisquées. Chaque année, pour 1 euro d’aide au développement, ce sont 10 euros qui échappent aux pays les plus pauvres.

Alors voilà, toutes les informations sont sur la table et les scandales se multiplient. Pourtant les prises de décisions politiques se font attendre. Les paradis fiscaux servent en effet des intérêts très différents, mais qui se coalisent pour que ces systèmes perdurent. Ce sont tout d’abord ceux du crime organisé. Les mécanismes de fraude fiscale sont également plébiscités par de riches individus qui cherchent à tout prix à éviter les droits de succession ou l’impôt sur le revenu. Ce sont enfin les multinationales, qui utilisent des mécanismes complexes pour réussir à ne payer d’impôts nulle part. Grâce à des délocalisations fictives de leur activité dans des pays à faible imposition, de grandes compagnies ne paient que 10 % d’impôts. L’ampleur de ce phénomène est inacceptable, et ce sont bien Google ou Amazon qui se retrouvent au centre des critiques.

Car si le tableau est noir, il existe deux bonnes raisons de ne surtout rien lâcher.

La première est la mobilisation grandissante des citoyens. C’est le fruit d’un très long travail de pédagogie de la part des ONG et de quelques responsables politiques. C’est évidemment la conséquence directe du choc créé dans l’opinion par la multiplication des scandales.

Alors forcément, après s’être évertués pendant de longs mois à imposer l’austérité et des coupes budgétaires aussi drastiques que dramatiques à des pays européens étranglés par la crise, nos dirigeants multiplient depuis plusieurs semaines les discours va-t-en guerre contre la fraude fiscale. Et c’est là le deuxième point qui permet aujourd’hui d’envisager un basculement dans la lutte contre l’évasion fiscale. L’austérité et le «  sérieux budgétaire  » nous ont conduits dans le mur. La zone euro est en récession, le chômage et la pauvreté explosent et les tentations de replis nationalistes et xénophobes se font toujours plus prégnantes. Les gouvernements ont absolument besoin de trouver de nouveaux revenus, quitte, comme l’a fait David Cameron, à s’en prendre aux pratiques et territoires qui ont pourtant fait la puissance de la City.

Reste à faire plier ces pays qui ont constitué tout ou partie de leur économie sur des services financiers plus ou moins douteux. Parmi eux, le Luxembourg et l’Autriche, qui aujourd’hui temporisent au maximum à la table du Conseil européen. Alors seule, la France peut et doit immédiatement commencer le travail en renforçant les services de luttes contre la fraude et en imposant un maximum de transparence aux banques et aux multinationales, mais elle ne pourra pas résoudre le problème dans sa globalité.

A la remorque des États-Unis d’Obama, qui ont pris l’initiative, réussissant à faire plier la Suisse et son secret bancaire, seule l’Union européenne a l’envergure pour porter un coup fatal à ce système. Cela prendra encore du temps, mais nous avons une occasion historique de faire enfin vivre un enfer aux paradis fiscaux.

Eva Joly


Les États ont les moyens de juguler l’évasion fiscale… pourvu qu’ils en aient la volonté

Que la mobilité confère un surcroît de pouvoir ne souffre guère la contestation. Que l’on songe à la puissance des financiers par rapport aux industriels ou aux États, des investisseurs face aux bassins d’emploi sinistrés, ou des géants du trading face aux agriculteurs. En matière d’impôt, le constat se vérifie : les actifs financiers traversent allègrement les frontières pour rejoindre des cieux fiscalement cléments, la valeur engrangée par les groupes transnationaux est allouée au gré des avantages fiscaux, par le jeu du commerce et de l’endettement entre filiales. L’on blâme avec raison les américains Google ou Apple, qui dessinent dans leur comptabilité une géographie très éloignée de leur réalité économique (un chiffre d’affaires cent fois supérieur en Irlande à celui affiché en France, pour la première !). Mais on aurait tort d’occulter les autres secteurs et les firmes européennes : le phénomène est généralisé. Il compte même ses artificiers : banques et «  big four  » de l’audit et du conseil fiscal, qui cumulent assistance à évasion fiscale, certification des comptes et préparation du terrain en s’assurant l’hospitalité des législations offshore.

Car certains micro-États leur ont tout bonnement remis les clés de leurs lois, voyant dans la course à l’opacité et au moins-disant fiscal une promesse de tirer leur épingle du jeu de la mondialisation. Depuis les années 1970, le nombre de paradis fiscaux a triplé. Les techniques de transfert de profit et d’anonymisation des comptes se sont perfectionnées. Les BVI (îles Vierges britanniques) se sont imposées dans les sociétés-écrans (830 000 entreprises pour 24 000 habitants !), les Bermudes dans les captives d’assurance... Le marché de l’opacité suscite aussi la convoitise de grandes puissances, à l’instar du Delaware, l’une des cinquante étoiles du drapeau américain, où 217 000 sociétés sont enregistrées à la même adresse, ou de Londres, plaque tournante des flux en provenance de Jersey, des îles Cook, Caïmans ou de Gibraltar…

Mis en concurrence à la faveur de la libéralisation des capitaux, nos États semblent avoir placé leur souveraineté fiscale sur le marché. Ce mouvement n’est pas tenable. Il étrangle les pays en développement, premières victimes de la fuite illicite des capitaux. Il sape les recettes publiques, mettant les États à la merci des créanciers et servant à justifier le démantèlement de l’État providence. Partout à travers le monde, la charge fiscale est reportée des «  assiettes mobiles  » (échanges, profits, actifs financiers) sur les «  assiettes immobiles  » (notamment par la TVA) : des plus riches vers les moins fortunés. Le jeu concurrentiel lui aussi est faussé : comment une PME, taxée à 30 % de ses profits, peut-elle rivaliser quand le CAC 40 n’est effectivement imposé qu’à 8 % ? Surtout, en cédant au chantage des plus mobiles, c’est notre capacité à faire société, à décider de notre avenir commun que nous aurions abandonnée.

Une armée de professionnels voudrait faire croire que l’évasion fiscale est inéluctable ? Les États ont les moyens de la juguler. Pourvu qu’ils en aient la volonté – ou qu’on la leur insuffle. Et qu’ils fassent le bon diagnostic. Ce combat n’est pas d’abord celui, entre États, que nous donnent en spectacle les médias (Autriche et Luxembourg contre Commission ; Suisse contre Royaume-Uni), mais celui des mobiles contre les immobiles. A défaut de revenir à un strict contrôle des capitaux, qui ne semble guère de mise aujourd’hui, il s’agit, pour les États, d’assortir ce formidable avantage qu’est la mobilité d’une contrepartie : la transparence. En trois actes. Primo, à l’instar de la loi américaine Fatca, obliger les banques à transmettre illico au fisc toute information concernant les comptes étrangers des contribuables. Nul besoin d’un accord unanime à 27 pour en décider à Paris. Secundo, interdire toute transaction à une entité dont le véritable détenteur n’est pas dûment identifié par les autorités. Et le trust, ce contrat à trois de spécialité britannique, ne saurait faire exception, n’en déplaise à l’hôte du prochain G8. Tertio, contraindre les multinationales à s’expliquer dans leur rapport annuel sur leur activité (chiffre d’affaires, bénéfices, employés…) pays par pays.

Notons que si les banques y seront obligées dès 2015, ce n’est pas d’abord grâce à l’Europe, qui vient de s’accorder sur cette mesure. Ni même grâce aux parlementaires français, qui l’ont votée ce printemps. Mais grâce à des régions françaises ou à de petites communes comme La Chapelle-sur-Erdre qui, dès 2010, ont montré la voie. Pourquoi ? Simplement, parce que des citoyens, des militants associatifs, les ont interpellés et leur ont donné le courage de croire en leur pouvoir.

Jean Merckaert

Article publié le 2 juin 2013.


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