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Publication d’un nouveau rapport parlementaire sur l’évasion fiscale : la banque au centre du jeu de l’évasion.

Dans un nouveau rapport parlementaire sur l’évasion fiscale, les sénateurs montrent aux travers des auditions et des statistiques disponibles que sans les banques, leurs prêts et titres financiers, le hold-up du siècle n’existerait pas.

 Oublier les valises de billets pour fuir le fisc, c’est au cœur du circuit économique, grâce à un certain nombre de montages financiers, que tout se passe. La commission d’enquête parlementaire, présidée par le sénateur communiste Éric Bocquet, s’est replongée dans ce monde totalement opaque, en auditionnant au cours des six derniers mois une cinquantaine de personnes. Le rapport, rendu public le 24 octobre 2013, dresse un constat unanime : les banques sont le «  noyau  » de l’évasion fiscale.

 Sans les prêts, emprunts et titres financiers qu’elles délivrent, rien ne serait possible. «  Il faut avoir conscience du monde dans lequel nous vivons. Vous transférez des sommes à Singapour en deux minutes ; vous allez à Londres en deux heures ; vous n’avez plus besoin de liquide. Entre la dématérialisation, la liberté de circulation des personnes et des capitaux, cette évolution des sociétés est exponentielle depuis quinze ans   », a développé Maïté Gabet, directrice de la direction nationale des vérifications de situations fiscales, lors de son audition.

 L’internationalisation est impressionnante :

Les 13 premières banques européennes comptabiliseraient au minimum 30 000 filiales, dont 60 % seraient localisées à l’étranger.
Avec une présence importante en Suisse, au Luxembourg, en Irlande et aux îles Caïmans… De son côté, BNP Paribas compte, elle, près de 1 059 filiales, dont 703 à l’étranger et plus de 300 dans les paradis fiscaux. Le « schéma des Bermudes » est un des exemples liant le triptyque banques, multinationales et évasion fiscale. Interrogé par la commission, Olivier Sivieude, directeur de la direction des vérifications nationales et internationales, témoigne : « Une société installée en France réalisait des bénéfices très importants. En regardant ses déclarations fiscales, nous nous sommes aperçus que, d’un seul coup, ses bénéfices avaient été presque réduits à néant, car des frais financiers lui avaient été facturés. Nous avons donc effectué un contrôle, et nous nous sommes rendu compte que ces frais financiers, d’un montant de 100 millions, provenaient d’un emprunt de 1,2 milliard souscrit auprès d’une filiale de sa maison mère, d’une «  sœur  » donc, située aux Bermudes. (…) Nous avons pu savoir qu’il s’agissait d’un schéma dit de double déduction. L’entreprise canadienne, la holding, a emprunté 1,2 milliard d’euros auprès de banques au Canada, et déduit les charges correspondantes – 100 millions – de ses bénéfices réalisés au Canada. La somme de 1,2 milliard a été immédiatement versée au capital d’une société installée aux Bermudes, puis prêtée à la société française, qui a déduit de ses bénéfices réalisés en France les intérêts qu’elle verse sur cette somme.   »

 Des produits d’assurance dans des centres offShore

Ce système des emprunts-prêts permet aux grandes entreprises d’avoir recours à l’endettement pour un montant supérieur à leur investissement. Grâce à cet outil, elles ne sont imposées qu’à 18,6 % contre 39,5 % pour les PME. Les emprunts-prêts ne sont pourtant qu’un mécanisme parmi d’autres. Et les banques qu’un intermédiaire auquel il faut ajouter les fonds d’investissement ou encore les captives d’assurance, qui gèrent les produits d’assurance couvrant les risques des entreprises industrielles ou de services, et sont pour les deux tiers localisées dans les centres financiers offshore.

«  Prenez un particulier français qui a un compte en Suisse. Il y investit un peu d’argent en achetant des actions. Imaginez que ce Français achète des actions américaines depuis un compte en Suisse. Les États-Unis enregistrent un passif, car ils savent qu’un investisseur étranger détient des actions américaines. Les statistiques suisses n’enregistrent rien, car ces actions n’appartiennent pas à la Suisse. Quant aux statisticiens français, ils n’enregistrent rien, car ils n’ont pas moyen de savoir que ce ménage français détient un portefeuille d’actions américaines en Suisse », explique le chercheur Gabriel Zucman.

Selon les informations de la commission, 8 % du patrimoine financier mondial des ménages sont détenus dans ces « trous noirs » échappant totalement à l’impôt, pour un pactole de 6 000 milliards de dollars, soit près de 10% du PIB mondial.

 Dans ce jeu de l’évasion des particuliers, les banques jouent le premier rôle, explique le gestionnaire de fortune Pierre Condamin-Gerbier : «  J’ai pu observer la totalité de la palette de solutions techniques imaginées par des banques, notamment françaises, au service de clients internationaux. Ces outils permettaient d’aider les clients à optimiser légalement leur fiscalité, ou parfois à mettre en place un exil fiscal, jusqu’à la fraude la plus sophistiquée.    »

Et lorsque le système éclate au grand jour, comme ce fut le cas avec l’affaire UBS ou Jérôme Cahuzac, elles s’adaptent. « La Suisse conserve des professionnels qui réfléchissent aux solutions internationales, mais celles-ci sont mises en œuvre hors d’Europe, avoue-t-il. De nouvelles classes d’actifs, au-delà des marchés financiers, sont aujourd’hui très favorables, comme le mobilier ou l’art. Les banques ont ouvert des départements “art” par intérêt, car ce marché permet de mener une fraude à plus grande échelle et de façon moins régulée. » Depuis le milieu des années 1990, l’imposition des banques a été multipliée par 1,5, alors que leurs profits l’ont été par dix. La finance ne semble jamais à court d’idées pour échapper au fisc.


 Les instruments des banquiers :

  1. Repurchase : consiste à consentir un prêt à une filiale américaine ou anglaise, qui confie en gage des titres dont les dividendes se substituent aux intérêts à verser. Ceux-ci auraient été imposables alors que les dividendes entre sociétés mère et fille ne le sont pas.
  1. L’endettement artificiel des réserves financières  : elles sont distribuées dans un autre pays, puis prêtées à la société française sous forme d’obligations. L’argent ne sort pas de l’entreprise, l’actionnariat n’est pas modifié, mais les charges financières augmentent.
  1. Prêt lombard : lorsqu’un client souhaite acquérir un bien immobilier en France avec de l’argent non déclaré placé en Suisse, il sollicite un prêt auprès d’un établissement bancaire qui se garantit par une hypothèque sur le bien immobilier en question. La véritable garantie est donnée par la filiale suisse à sa maison mère parisienne, dans un contrat et unecomptabilité parallèles.
  1. L’assurance-vie luxembourgeoise  : permet d’ouvrir un compte en Suisse sans que les titulaires réels ne figurent sur les documents d’ouverture de compte.

  Interview d’Eric Boquet paru dans L’Humanité du 24.10.2013 ( Sénateur PCF du Nord et rapporteur de la Commission d’enquête ) :

Vous êtes le rapporteur de cette commission d’enquête. Après un précédent rapport sur les paradis fiscaux, pourquoi s’être focalisé cette fois-ci sur le rôle des banques dans ce système ?

 Éric Bocquet :
Le premier rapport portait surtout sur une vision macroéconomique. Il nous a permis de mesurer l’ampleur du phénomène et toute sa complexité. Mais nous avions juste effleuré le sujet pendant les six mois de travail. Il est clair que les banques ont un rôle à jouer dans ce système étant donné leur poids économique énorme. Un exemple : le bilan financier de BNP Paribas est de 2 000 milliards d’euros. Les banques sont largement internationalisées et leurs filiales sont très présentes dans les paradis fiscaux. Il y a de quoi s’interroger.

Que proposez-vous concrètement ?

 Éric Bocquet. : L’idée majeure est d’instaurer une transparence dans un système très opaque, d’où l’idée d’un registre international des trusts, qui suivrait la logique du registre du commerce.

Il faut responsabiliser les avocats fiscalistes, les comptables, les banques et les paradis fiscaux. Nous proposons de nous baser sur la loi américaine qui oblige les banques à se mettre en conformité fiscale par rapport aux comptes détenus à l’étranger par les citoyens, mais à l’échelle européenne et avec l’obligation d’un échange automatique d’informations fiscales. Nous avons déjà le soutien de la direction générale des finances publiques. Cependant, rien ne se fera sans une réelle volonté politique dans l’Union européenne, où les visions sont radicalement opposées.

En quoi consiste l’idée d’un haut-commissariat 
à la protection des intérêts financiers publics ?

 Éric Bocquet : L’évasion fiscale est aussi éminemment politique. Notre idée de création d’une instance permanente au Parlement n’a pas été suivie. Nous reformulons cette idée.

Le Parlement vote le budget, donc ce serait naturel et sain qu’il suive l’évolution les textes en rapport avec cette lutte. L’idée serait de coordonner tous les services de Bercy qui s’occupent des évasions fiscales avec plus du personnel, tel que des élus, des spécialistes de la fiscalité et de la finance.

Les positions internationales sur le sujet ne restent-elles pas trop théoriques à votre goût ?

 Éric Bocquet : La tâche est gigantesque puisqu’il s’agit des milliers de milliards de dollars. Les cures d’austérité apparaissent donc de plus en plus inacceptables aux yeux des citoyens. La pression citoyenne oblige les États à se positionner comme aux derniers G8 et G20.

Nous avons une fenêtre de tir, notamment parce que les Américains ont donné le ton avec la Suisse. Ce qui ne les empêche pas d’être quelque peu schizophrènes puisque certains de leurs États sont eux-mêmes des paradis fiscaux. Avec la loi bancaire en France par exemple, on est très loin du compte. Et les déclarations d’intention ne suffisent pas.


Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre (Rapport)
Rapport de M. Éric BOCQUET, fait au nom de la Commission d’enquête sur le rôle des banques :

Accéder au site du Sénat

L’évasion des capitaux, c’est-à-dire leur soustraction à des règles d’intérêt public, fait l’objet désormais d’une attention soutenue parallèlement à celle accordée aux effets de la finance dérégulée sur la stabilité financière.

La commission d’enquête du Sénat créée au printemps dernier a souhaité vérifier si cette prise de conscience pouvait s’appuyer sur des observations tangibles et dans quelle mesure elle pouvait être convertie en des actes débouchant sur une meilleure maîtrise des circuits financiers.

Elle a constaté l’existence de risques élevés d’évasion des capitaux, qui se concrétisent de différentes manières, selon les objectifs poursuivis.
Dans ce contexte, l’offshore ressort comme une réalité emblématique, qu’il ne faut pas croire limitée aux seuls paradis fiscaux et réglementaires exotiques. L’offshore c’est le nom des failles multiples par lesquelles les flux financiers passent pour se soustraire aux règles.

L’opacité en est la caractéristique principale, celle sur laquelle butent des systèmes de contrôle fractionnés et aux moyens trop limités face à des réalités financières sans frontières et foisonnantes.

Les principes d’un rétablissement du contrôle de la conformité de la finance s’en déduisent. La transparence et la lisibilité des pratiques financières doivent être restaurées. Dans le même temps, la responsabilité doit progresser : celle des intermédiaires financiers et des entités qui se livrent à des pratiques financières abusives sans oublier celle des systèmes de contrôle eux-mêmes, confrontés à des exigences d’efficacité et d’impartialité auxquelles ils doivent satisfaire.

Rapport Sénatorial sur le rôle des banques Tome 1.
Rapport sénatorial sur l’évasion fiscale. Tome 2.

Article publié le 26 octobre 2013.


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