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85 personnes détiennent autant de richesses que 3 milliards d’individus.

Tandis que s’ouvrait le 21 janvier 2014 la 44e édition du forum économique mondial 
de Davos, l’ONG Oxfam sort un rapport sur l’accroissement des inégalités entre riches 
et pauvres.

« La concentration massive des ressources économiques dans les mains de toujours moins de personnes constitue une réelle menace pour les systèmes économiques et sociaux.  »

Les défenseurs zélés du capitalisme croiront sans doute cette formule tirée d’un manuel marxiste du XIXe siècle, et pourtant, c’est bien aujourd’hui, dans le dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités économiques, que ces quelques lignes ont été écrites.

Tandis que les puissants de la planète se regroupent à Davos, l’ONG tire la sonnette d’alarme, invitant les décideurs du forum mondial à prendre conscience d’une situation de plus en plus critique et dont les habitués de la station suisse ne semblent pourtant pas ignorer la gravité. En novembre 2013, le forum économique mondial n’affirmait-il pas lui-même dans son rapport, «  Outlook On The Global Agenda 2014  », que l’un des deux principaux risques des dix-huit prochains mois était l’accroissement des disparités de revenus ? Les personnes interrogées précisant que ces inégalités «  affectaient la stabilité sociale au sein des pays  » et «  menaçaient la sécurité dans le monde  ».

Oxfam fait donc le même constat dans ce nouveau rapport, basé sur plusieurs sondages, intitulé «  Pour en finir avec les inégalités extrêmes  », avec des analyses et des chiffres (voir infographie ci-dessus) souvent alarmants.

Ainsi les 85 personnes les plus riches du monde posséderaient à elles seules l’équivalent de la richesse de la moitié la moins riche de la planète (soit plus de 3 milliards d’individus).

De 1980 à 2012, les 1 % les plus riches aurait augmenté leur part de revenus dans 24 pays sur 26 étudiés. Sept personnes sur dix sur l’ensemble de la planète estiment également vivre dans un pays où le fossé des inégalités s’est creusé depuis trente ans. Mais qu’elles soient issues des pays émergents ou de pays développés, les personnes interrogées ne sont pas dupes.

En Inde, au Brésil, en Espagne, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, «  une majorité de la population pense que les lois sont biaisées en faveur des riches  ». Aux États-Unis par exemple, 65 % des sondés sont convaincus que le Congrès adopte des lois qui bénéficient surtout aux riches. Ce que l’ONG analyse comme suit : «   Lorsque les plus riches confisquent les politiques gouvernementales, cela conduit à l’érosion de la gouvernance démocratique.   »

  Des politiques d’austérite qui permettent aux riches de s’enrichir davantage

Une érosion de la démocratie dont la source remonte au début des années 1980 avec les politiques ultralibérales mises en œuvre sous Reagan aux États-Unis et Thatcher au Royaume-Uni, qui feront le nid de la crise de 2008, véritable accélérateur d’inégalités entre riches et pauvres…

Mais aussi entre travail et capital. «  Alors que les actions et les profits des entreprises atteignent des niveaux vertigineux, les salaires stagnent  », constate Oxfam, illustrant son affirmation par l’exemple européen : «  Entre 2008 et 2010, la fortune combinée des 10 personnes les plus riches d’Europe dépasse le coût total des mesures de relance mises en place dans l’Union européenne ! (217 milliards d’euros contre 200 milliards d’euros).  » Une situation absurde, loin d’être le fruit d’un hasard cupide et qui, pour l’ONG, porte un nom : «  Les politiques d’austérité mises en place après la crise pèsent lourdement sur les personnes pauvres alors qu’elles permettent aux riches de s’enrichir toujours plus !  »

Pour éviter l’explosion sociale que redoutent tant les membres du club de Davos, le texte invite ceux-ci à renverser la vapeur en piochant dans un passé récent. «  Il existe heureusement des exemples indéniables de succès durant les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, rappelle l’ONG.

Les États-Unis et l’Europe ont réduit les inégalités tout en connaissant croissance et prospérité. L’Amérique latine les a elle aussi réduites ces dix dernières années par le biais d’une fiscalité plus progressive.  » Dans l’un et l’autre cas, des politiques de services publics et de protection sociale étaient alors accompagnées par une législation du travail en faveur des salariés. Un conseil que les quatre ministres français qui seront présents à Davos pourront peut-être faire remonter à François Hollande à l’heure où son pacte de responsabilité et ses 30 milliards d’euros de cadeaux faits aux patrons taillent encore un peu plus dans la chair d’une démocratie dont l’épitaphe, si rien ne bouge, pourrait être les derniers mots de ce rapport. «  Sans une véritable action pour réduire ces inégalités, les privilèges et les désavantages se transmettront de génération en génération comme sous l’Ancien Régime.  »

 États Unis : l’exemple À ne pas suivre

Dans son rapport, Oxfam rappelle le rôle pernicieux de l’argent dans le jeu politique américain : «  Depuis la fin des années 1970, 
un contrôle insuffisant de l’argent dans 
la politique a permis à de riches individus et entreprises d’exercer une influence injustifiée sur l’élaboration des politiques du gouvernement. L’une des conséquences pernicieuses a été 
la création de politiques publiques biaisées 
en faveur des intérêts d’une élite, qui a coïncidé avec la plus forte concentration des richesses entre les mains de 1 % des plus riches.  »


Du coup, le pouvoir de négociation des syndicats s’est effondré et la valeur réelle du salaire minimum et d’autres mesures de protection 
s’est érodée. Dans le même temps, «  de riches lobbies ont su influencer le législateur et 
le grand public afin de minimiser la pression fiscale sur les plus hauts salaires et les gains en capital, mais aussi pour créer des échappatoires fiscales pour les entreprises  ». Comme le capital est moins imposé que les salaires, des millions d’Américains de la classe moyenne ont un taux d’imposition plus élevé que les riches.

 Rapport OXFAM dans son intégralité :

Etude OXFAM sur les inégalités dans le monde.

CAC 40 : et il faudrait encore les aider !

 Article paru dans le quotidien L’Humanité du 21.01.2014.

Les grands groupes ont dépensé 43 milliards d’euros en 2013 pour choyer les actionnaires. Et pourtant le gouvernement veut leur octroyer de nouvelles aides, sans conditions, avec le pacte de responsabilité.

Plus besoin de tendre l’oreille pour le savoir : les patrons et leurs relais médiatiques le serinent sur toutes les antennes, la France souffre d’un «  problème de compétitivité  » lié au «  coût du travail  ». Le Medef réclame des dizaines de milliards d’euros de baisse des prélèvements obligatoires pour «  donner de l’air à l’économie  », et le gouvernement obtempère, d’abord avec son crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) et maintenant avec son projet de suppression pure et simple des cotisations famille payées par les entreprises.

Le pacte de responsabilité avancé par François Hollande va se traduire, derrière le mirage des «  contreparties  », par un gigantesque cadeau de 30-35 milliards d’euros aux entreprises, mais c’est une condition sine qua non, nous jurent les experts dominants la main sur le cœur, pour «  accrocher le train de la croissance  ».

Le problème avec ces ritournelles, c’est qu’elles ne peuvent pas masquer bien longtemps le coût du capital. D’après une étude citée dans les Échos hier matin, les groupes du CAC 40 ont «  brûlé  » 42,6 milliards d’euros l’année dernière sous la forme de dividendes ou de rachat de leurs propres actions. Un chiffre en hausse de 4 % par rapport à 2012 : 36 milliards d’euros ont été distribués aux actionnaires et 6,6 milliards ont servi à détruire des actions pour renforcer le pouvoir des plus gros d’entre eux.

Sur le podium du CAC 40, d’après le rapport «  exclusif  » des Échos, on retrouve Total (5,55 milliards d’euros de dividendes et de rachat d’actions), Sanofi (5,31 milliards d’euros) et GDF Suez (3,55 milliards d’euros), suivis par EDF (2,48 milliards), Airbus (2,46 milliards), L’Oréal (2,16 milliards), BNP Paribas (1,86 milliard), Danone (1,65 milliard), LVMH (1,61 milliard) et Axa (1,56 milliard).

Dans les rangs patronaux, les chiffres de cette gigantesque gabegie financière ne suscitent jamais d’émoi. Mais quand on les rapproche des cadeaux que les groupes du CAC 40, vont pouvoir engranger avec le Cice, le crédit impôt recherche (CIR) ou la suppression des cotisations famille, il y a de quoi susciter l’indignation.

Total, champion du CAC 40, et numéro un pour les versements aux actionnaires, passe sans complexe au guichet des aides publiques. Il ne laisse rien, ni le crédit d’impôt recherche, qui lui vaut une enveloppe de 70 millions d’euros, ni le crédit d’impôt compétitivité, qui lui vaudra environ 20 millions. Quant à l’exonération totale des cotisations famille, elle pourrait soulager le mastodonte du pétrole de quelque 70 millions d’euros.

Chez Sanofi, l’un des tout premiers groupes mondiaux du secteur de la pharmacie, on ne souffre pas vraiment de problème de trésorerie ou de taux de marge (bénéfice brut). Le labo a versé 3,6 milliards d’euros à ses actionnaires sous la forme de dividendes, et il a consacré 1,7 milliard d’euros à ses rachats d’actions. Pour autant, Sanofi ne refuse par les aides publiques.

Au titre du Cice, le groupe encaissera prochainement 20 millions d’euros, selon une estimation de la direction. Au titre du CIR, il engrange déjà environ 130 millions d’euros. Et Sanofi, comme les autres, bénéficiera de la suppression des cotisations patronales famille. Soit, d’après une estimation, un allégement de plus de 86 millions d’euros. Tout cela n’empêche pas le groupe de refuser la moindre augmentation générale de salaire en 2014, de s’obstiner à mettre en œuvre un plan de restructuration prévoyant la liquidation du centre de recherche de Toulouse et de centaines d’emplois, après avoir tiré un trait sur 4 000 CDI ces cinq dernières années, rappelle Thierry Bodin, coordinateur des syndicats CGT.

Du côté de GDF Suez, à l’époque de la mise en place du Cice par le gouvernement, Gérard Mestrallet, le PDG du groupe, avait évalué son montant dans sa boîte à 120 millions d’euros. Sur la base du poids des effectifs de la multinationale en France, on peut par ailleurs estimer à 175 millions d’euros le bénéfice que GDF Suez peut attendre de l’exonération totale des cotisations famille…

«  Nous n’avons pas encore les montants pour les dividendes et les rachats d’actions pour l’année dernière mais, en 2012, ils étaient plutôt autour des 5,1 milliards d’euros, explique Éric Buttazoni, délégué central CGT. Après, ce qui est sûr, c’est que, nous, on n’a vraiment pas besoin des patates du gouvernement, on attend plutôt d’eux qu’ils contrôlent et orientent les investissements pour un pôle public…   »

Les dividendes explosent Selon une étude publiée l’année dernière, les dividendes distribués par les plus grandes entreprises françaises ont été multipliés par sept dans les vingt dernières années. Comble de cynisme et d’ironie, c’est en 2007-2008, au début de la crise, que le record des dividendes a été battu avec 58 milliards d’euros distribués, contre 43 milliards en 2013. Sur la même période, les salariés n’ont pas vu leur salaire progresser dans les mêmes proportions…

Article publié le 24 janvier 2014.


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