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Compétitivité : Gallois plagie le patronat avec l’aide de l’UMP. Laurent Mauduit Médiapart

En matière littéraire, il n’y a rien de plus grave que le plagiat. Celui qui commet cette vilenie s’expose à une lourde condamnation pénale et à un discrédit, le plus souvent, irréversible. En matière économique, en revanche, il semble que les usages ne soient pas exactement les mêmes : il arrive que les plagiés ne réclament aucun droit d’auteur et applaudissent même celui qui s’est approprié leurs idées, pour peu que celles-ci progressent et gagnent en notoriété.

En caricaturant à peine, voilà la vraie morale de tout cet invraisemblable psychodrame que l’on vient de vivre depuis plusieurs semaines autour du rapport sur la compétitivité que le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait demandé à Louis Gallois, et qui a été rendu public ce lundi 5 novembre.

Car maintenant que l’on connaît le détail des réformes préconisées par l’ancien patron d’EADS, le constat saute aux yeux : le fameux document, qui a mis en émoi de si longues semaines toute la presse et qui a alimenté d’innombrables rumeurs, n’est qu’une compilation de nombreux autres rapports écrits auparavant par… des officines patronales !

Lesquelles officines sont aujourd’hui naturellement trop contentes que leurs idées progressent sous une présidence socialiste. En creux, l’histoire des emprunts faits par Louis Gallois – avec l’aide d’un rapporteur adjoint qui est membre de… l’UMP ! – en dit donc très long sur les vraies sources d’inspiration de la politique économique française impulsée aujourd’hui par François Hollande.

 Voyons d’abord ce rapport, et examinons ce qu’il propose. Le voici :

Un rapporteur adjoint adhérent de l’UMP

 Ce rapport réserve en fait une surprise qui a trait à la qualité de l’un de ses rédacteurs. ??laboré comme prévu par Louis Gallois, qui est actuellement Commissaire général à l’investissement, il a bénéficié de l’aide de deux rapporteurs adjoints. Et l’identité de l’un d’eux est pour le moins inattendue. Il s’agit en effet d’un certain Pierre-Emmanuel Thiard, qui est un contributeur occasionnel d’Atlantico. Sur ce site Internet, qui a pour positionnement éditorial d’établir des passerelles entre la droite et la droite radicale, l’intéressé est présenté de la manière suivante : « Pierre Emmanuel Thiard, militant UMP à Paris, est haut fonctionnaire. » Et les points de vue du haut fonctionnaire publiés sur ce site (elles sont ici) témoignent en effet de son affiliation à l’UMP.

 Adhérent de la fédération de Paris de l’UMP, Pierre-Emmanuel Thiard, est aussi l’un des animateurs d’une association dénommée « La boîte à idées », qui est une dépendance du même parti et qui présente son activité sur un site Internet que l’on peut consulter ici.

« La Boîte à idées » a déposé une motion pour le prochain congrès de ce parti, avec le soutien de nombreux hiérarques (ici un article du Point).

Sur ce site, le collaborateur de Louis Gallois est présenté de la manière suivante : « Pierre-Emmanuel Thiard est haut fonctionnaire et enseigne à Sciences-Po. Ancien président de l’UMP Sciences-Po entre 2004 et 2005, il a été co-rapporteur des groupes ayant travaillé sur les questions économiques, les finances publiques et la politique industrielle dans le cadre de la préparation du programme présidentiel de Nicolas Sarkozy. »

Voilà donc une première indication qui n’est pas indifférente : l’UMP, ou du moins l’un de ses cadres, a contribué à ce rapport.

Mais pour le reste, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rapport ne réserve strictement aucune autre surprise. Beaucoup moins riche et documenté que ne l’est le récent rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale (lire Compétitivité : sous le choc, l’intox : ), il se borne à énumérer quelques poncifs et lieux communs sur la compétitivité, que l’on retrouve depuis des lustres dans toutes les publications patronales. « Sanctuariser le budget de la recherche publique et celui du soutien à l’innovation » ; « conditionner les soutiens de l’ ??tat aux actions des grandes entreprises à leur capacité à y associer leurs fournisseurs et sous-traitants » ; « doubler le nombre de formations en alternance sur la durée du quinquennat » : voilà quelques-unes des 22 propositions de Louis Gallois et de ses deux rapporteurs adjoints.

Aucune surprise, donc, d’autant qu’au milieu de cet inventaire à la Prévert figure bien naturellement la fameuse proposition – c’est la quatrième – visant à créer un « choc de compétitivité ». Voici exactement ce qu’est cette proposition : «  4e proposition : créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales jusqu’à 3,5 SMIC – de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique. Ce transfert concernerait pour 2/3 les charges patronales, et pour 1/3 les charges salariales.  »

Et la proposition est ensuite décryptée de la manière suivante : « Il appartiendra à la concertation prévue sur le financement de la protection sociale d’examiner dans quelles conditions ce transfert peut être organisé et quelles ressources fiscales de substitution peuvent être mobilisées. Sans préjuger ce débat, on peut indiquer les voies possibles et les fiscalités mises à contribution. On ne pourra pas faire “l’économie” de l’utilisation d’un impôt à large assiette. Certes, la hausse de certains taux intermédiaires de la TVA (hors produits de première nécessité) devrait être envisagée (5 à 6 milliards d’euros). Il en est de même de la fiscalité écologique (taxe carbone), de la fiscalité immobilière, du réexamen de certaines niches et de l’éventuelle taxation des transactions financières (2 à 3 milliards d’euros au total). Mais, si on ne peut pas faire appel au taux normal de la TVA, la plus grande part devra provenir – probablement de l’ordre des 2/3 – du relèvement de la CSG, soit l’équivalent de 2 points (20 à 22 milliards d’euros). La réduction à hauteur de 10 milliards des cotisations salariales réduit de manière significative l’impact de ce relèvement sur le pouvoir d’achat des salariés et donc sur la demande des ménages.  »

En clair, comme on s’y attendait, le rapport de Louis Gallois préconise bel et bien de mettre en œuvre la fameuse réforme, improprement appelée « TVA sociale », voulue par Nicolas Sarkozy, ou à défaut une variante, en relevant la CSG. En clair, il s’agit d’organiser un « choc » pour transférer massivement des cotisations sociales à la charge des employeurs sur des prélèvements acquittés par les consommateurs ou les salariés. Autrement dit, Louis Gallois recommande aux socialistes de faire l’exact contraire de ce qu’avait promis… François Hollande.

Du coup, on ne peut s’empêcher de se poser une nouvelle fois la question : mais pourquoi donc François Hollande a-t-il eu l’idée incongrue d’ouvrir ce chantier de la compétitivité dès le début de son quinquennat et d’enfourcher le cheval de bataille qui était jusque-là celui du patronat et de l’UMP ? Et pourquoi ce travail de réflexion a-t-il été confié à Louis Gallois ?

En vérité, on comprend mieux l’enjeu de ces questions lorsque l’on connaît la genèse de cette idée du « choc de compétitivité ». Car – nous y voilà ! –, ce n’est pas Louis Gallois qui peut en revendiquer la paternité. C’est une idée qui est véhiculée depuis de longs mois par les milieux d’affaires français et les cercles dominants du patronat. Elle a donc alimenté une cascade de rapports – tous sur le même thème – dans lesquels Louis Gallois est venu ensuite puiser son inspiration.

Ainsi, il y a d’abord eu, en janvier 2012, une note de l’Institut de l’entreprise. Créé en 1975 par François Ceyrac, le patron des patrons de l’époque, cet institut est resté, depuis, une annexe du Medef. Au sein de son Conseil d’orientation (il est ici), on retrouve pêle-mêle les patrons de Vinci, de Sodexo, d’Axa, de Schneider Electric, de Lafarge, de GDF Suez, de BNP Paribas, et de biens d’autres.

Intitulée « Pour un choc de compétitivité en France », cette note, la voici :

 Des notes patronales en pagaille :

Comme on l’aura deviné, cette note lance donc une campagne, qui va être celle de tout le patronat durant les mois suivants, en pleine campagne présidentielle, en faveur de ce « choc de compétitivité », dont le but est d’alléger les cotisations employeurs, par exemple les cotisations familiales, en assommant de nouveaux impôts les salariés ou les consommateurs. Sous l’intitulé « Transférer une partie des cotisations sociales vers la fiscalité pesant sur les ménages », voici en particulier ce qu’écrit ce document : « Le poids du financement de la protection sociale pèse de manière démesurée sur les coûts de production. Le système de protection sociale étant le résultat de nos préférences collectives, c’est aux ménages qu’il convient d’en assurer d’abord la charge. Une réforme de l’assiette de financement de la protection sociale, qui verrait une partie des cotisations sociales employeurs rebasculée vers les ménages (au-delà de la TVA, la CSG et la fiscalité écologique – via la TICPE – pourraient être mises à contribution) doit être envisagée. Au-delà de sa portée économique – dont l’effet, en termes de compétitivité, doit toutefois être relativisé du fait de son caractère transitoire – et de son coût nul pour les finances publiques, un tel transfert aurait aussi la vertu symbolique d’envoyer le signal déterminé d’une nouvelle politique de l’offre. »

La campagne est donc engagée. Et elle rebondit peu après, en mars 2012, avec une autre note, élaborée cette fois par l’Institut Montaigne. Il s’agit là encore d’un club patronal. Créée par Claude Bébéar, le fondateur du groupe Axa, cette instance est connue pour ses travaux conservateurs ou en faveur des systèmes d’assurance privée.

Cette note de l’Institut Montaigne, la voilà :

 Sous l’intitulé « Le schéma proposé : un choc de compétitivité  », voici donc ce qu’explique notamment ce rapport : «  Pour avoir un effet réel sur l’emploi et la compétitivité, le transfert de charges doit être suffisamment important. Ce qu’il faut rechercher, c’est un choc d’offre. Ainsi, ce sont plus de 30 milliards d’euros de prélèvements qui pourraient être transférés, selon les modalités suivantes : les cotisations maladie et famille sont les premières candidates à un basculement des prélèvements vers la consommation, en raison de leur caractère universel, c’est-à-dire de leur vocation à financer des politiques publiques ne bénéficiant pas aux seuls salariés cotisants, comme la retraite ou les accidents du travail, mais à l’ensemble des personnes ayant une résidence stable en France.  »

On comprend donc mieux pourquoi, interrogé le 7 juillet, devant le Cercle des économistes (conservateurs), à Aix-en-Provence, sur ce que pourrait être un « choc de compétitivité », Louis Gallois embraye tout aussitôt (vidéo ci-dessous) en préconisant un allègement de 30 milliards d’euros des cotisations patronales, financé par un alourdissement de la TVA ou de la CSG.

Sous les applaudissements de Laurence Parisot

Ce qu’il y a de stupéfiant dans toute cette histoire, c’est que les dirigeants socialistes savent tout cela. De même qu’ils connaissent la genèse de cette idée de « choc de compétitivité », qui a éclos dans les cercles dominants du patronat. De même qu’ils n’ignorent pas que Louis Gallois est, sur ce sujet, leur porte-parole. Ce qui n’empêche pourtant pas Jean-Marc Ayrault de confier quelques jours plus tard, le 10 juillet, à Louis Gallois le soin de réaliser ce rapport.

Dès lors, l’histoire était écrite d’avance : avec l’aide notamment d’un militant de l’UMP, Louis Gallois s’est borné à peu de choses près à recopier tous les rapports antérieurs, écrits par divers cénacles patronaux. Et c’est ce qu’il y a de sidérant dans ce feuilleton : ce sont ces cercles patronaux qui donnent depuis plusieurs mois le « la » de la politique économique française.

Pour être précis, ils ne sont pas les seuls à faire campagne en ce sens. Sous la houlette de Christine Lagarde, même le Fonds monétaire international (FMI) est entré ce lundi dans la danse, en publiant un rapport sur la France (ici la dépêche de l’AFP), sommant le gouvernement socialiste d’engager une réforme pour améliorer sa… compétitivité.

«  Les perspectives de croissance de la France demeurent fragiles en raison des faibles conditions économiques en Europe, mais la capacité de la France à rebondir est aussi contrainte par un problème de compétitivité  », écrit le FMI. Lequel se prononce en faveur d’un transfert des charges salariales vers la TVA plutôt que vers la CSG : « transférer le coût des allégements de cotisations patronales vers les taxes indirectes (TVA par exemple) aurait plus d’avantages économiques  » qu’une augmentation de la CSG, qui pourrait n’avoir que des « effets temporaires  » et pourrait accroître la pression fiscale sur les revenus du capital.

 Voilà donc Jean-Marc Ayrault prévenu : le rapport Gallois n’est qu’une compilation de vieux rapports patronaux, complétés par quelques obsessions ultralibérales dont le FMI a le secret. Aux dernières nouvelles, cela ne devrait pas dissuader le premier ministre de reprendre à son compte une partie de ses préconisations.

D’ici là, les militants socialistes pourront se réconforter en lisant plusieurs fois – on ne s’en lasse pas – le communiqué de victoire de la présidente du Medef, Laurent Parisot (ici dans sa version intégrale sur le site du MEDEF). Intitulé « Rapport Gallois : une étape décisive vers un big bang économique salvateur  », il rapporte les propos enthousiastes de la patronne des patrons : « La “compétitivité équitable” est notre cheval de bataille depuis plusieurs années. Le diagnostic posé par le rapport Gallois est juste. La plupart de ses recommandations sont issues des réunions de travail entre Louis Gallois et les chefs d’entreprise. Il s’agit désormais de savoir quand et comment ses propositions seront mises en œuvre. Le chantier est vital pour l’économie de notre pays et il est de grande ampleur. Le Medef y contribuera dans un esprit constructif. »

 Même son de cloche chez Jean-François Copé, qui appelle tout simplement François Hollande à « avoir le courage » d’appliquer les mesures contenues dans le rapport. « Les mesures préconisées par le rapport Gallois, moi je les approuve totalement, elles correspondent exactement à ce que nous souhaitons pour l’économie, (…) à ce que nous avons initié avec Nicolas Sarkozy tout au long des années qui viennent de s’écouler », a déclaré le secrétaire général de l’UMP lors d’un point de presse.

Et dire qu’il y a des mauvaises langues pour prétendre que la politique économique et sociale n’a pas franchement des accents de gauche…

Article publié le 8 novembre 2012.


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