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MEDEF, UIMM : une caisse noire de 600 millions ou l’art de noyer le poisson et d’éviter les vrais questions.


 Voilà maintenant près d’un mois que l’affaire DGS ( Denis gautier Sauvagnac ex-négociateur en chef du MEDEF ) déffraie la chronique. Au fur et à mesure que l’enquête avance, les indiscrétions médiatiques font état de 15, 20, 150 puis 600 millions d’euros pour chiffrer le montant de la caisse noire ou cagnotte de l’UIMM.

 Depuis la révélation de ce scandale, plus une journée sans que les médias multiples et variés, reprenant l’argumentaire taillé sur pièce par les communiquants du MEDEF, n’évoquent sans le moindre début d’un commencement de preuve, un soi-disant "financement occulte des syndicats".

 Ainsi, le MEDEF et ses relais auront réussi à renverser la charge de la preuve, à diriger l’attention médiatique sur les syndicats de salariés et à occulter ses opérations de lobbying intense en direction des parlementaires.

Face à cette situation aberrante qui voudrait que les syndicats de salariés soient montrés du doigt ( et bien entendu discrédités ) pour les turpitudes du MEDEF, nous avons décidé de rappeler la chronologie de l’affaire tout en reprenant les questions que tout salarié, tout citoyen est en droit de se poser.

Nous avons également repris la Tribune de Gérard Filoche ( inspecteur du Travail et rédacteur en chef de la revue : "Démocratie et socialisme " ) parue dans le quotidien L’Humanité du 3 novembre 2007.


MEDEF, UIMM : une caisse noire de 600 millions ou l’art de noyer le poisson et d’éviter les vrais questions.

 Sur information du service antiblanchiment du ministère des Finances (Tracfin), lui-même informé par des banquiers de BNP-Paribas dès 2004, le parquet de Paris lance en septembre dernier une enquête préliminaire sur les retraits de sommes importantes en liquide par Denis Gautier-Sauvagnac et ses proches.

 Entre 2000 et 2007, celui qui cumule aujourd’hui les fonctions de président et de délégué général de la principale fédération patronale française, qui siège encore à la direction du MEDEF, qui préside, au nom de l’organisation patronale et en alternance avec la CFDT, l’assurance chômage, a, valise après valise, retiré une vingtaine de millions d’euros, au total, sur différents comptes de l’UIMM. 

 Dès les premières investigations, la brigade financière tombe en fait sur un « trésor de guerre » évalué à 600 millions d’euros.

Il s’agit, explique tranquillement Gautier-Sauvagnac devant une poignée de journalistes, d’un fond antigrève, baptisé « entraide pour les - industries métallurgiques » (EPIM) constitué à partir de 1972 grâce à des « surcotisations » volontaires des entreprises (0,02 % de la masse salariale, puis 0,04 % depuis 2001).

 Selon lui, en trente-cinq ans, 170 millions d’euros ont servi à indemniser des patrons qui n’ont rien lâché devant les revendications sociales et « qui sollicitaient notre secours après un conflit » ; le reste, 120 millions, aurait été « bien placé », comme dans une corne d’abondance, afin de se transformer en 600 millions d’euros aujourd’hui.
Du « fluide »

Il ajoute en utilisant une expression parfaitement ambiguë et taillée sur mesure par la « com’ de crise » - cet argent aurait servi à « fluidifier les relations sociales »

Cette expression, banalisée au fil des déclarations et déclinée dans la presse régionale par les responsables locaux de l’UIMM comme du MEDEF - ce sont bien souvent les mêmes , a permis au patronat de renverser la charge de la preuve, en focalisant l’attention sur le « financement des syndicats » tout en occultant des opérations de lobbying intense en direction des parlementaires.

 Les responsables patronaux de la métallurgie ont d’ailleurs été contraints d’avouer que des « salariés » de l’UIMM touchent des « primes » en liquide, issues de cette « caisse noire », et que certains retraités de la fédération passent une fois par mois retirer leur complément dans des enveloppes. Prédécesseur de Gautier-Sauvagnac, Daniel Dewavrin vient, lui, de reconnaître qu’il lui est arrivé de puiser son «  argent de poche  » avant de partir en vacances...

 La façade du patronat se fissure. Pour sa défense, Denis Gautier-Sauvagnac continue d’insinuer qu’une partie de l’argent aurait servi à « participer au financement de diverses organisations de notre vie sociale », mais récuse fermement toute suspicion de corruption : « Je n’ai jamais donné d’argent à un parlementaire. »

 Le patron de l’UIMM, qui emploie plus de 400 juristes spécialisés (soit la moitié de ses salariés), évoque un « lobbying tout à fait classique » qui « n’a rien d’occulte », afin de faire passer des amendements sur les textes que son organisation juge « mauvais ».

 De son côté, en janvier 2006, quelques mois après son élection à la tête du MEDEF, à l’occasion de l’assemblée générale à Arc-et-Senans (Doubs), Laurence Parisot se félicite ouvertement de l’aménagement de l’ISF et de la suppression d’une hausse anticipée de la taxe d’apprentissage, obtenus par le patronat à l’Assemblée nationale : «  Nous sommes engagés - résolument dans le lobbying - parlementaire et politique », lance-t-elle sous les vivats.

 Partisan déclaré du « contrat » entre partenaires sociaux - quand la gauche est au pouvoir et que, dès lors, ses relais au Parlement se font moins efficaces -, le MEDEF n’a jamais rechigné à faire la loi, lorsque la droite est aux - affaires.

Le 10 décembre 2002, le député UDF Charles-Amédée de Courson avait vendu la mèche en osant présenter en séance des « amendements proposés par la CGPME », la deuxième organisation patronale que l’UIMM finance de longue date et dont les multinationales de la métallurgie sont adhérentes.

 Plus récemment, dans une communication interne de trois pages datée de l’automne 2006, le MEDEF présente ingénument ses derniers « succès législatifs » : sur la fiscalité, le temps de travail, la taxe sur les véhicules de société et bien d’autres sujets encore, le patronat se vante d’avoir fait adopter une vingtaine d’« amendements inspirés par le MEDEF » - selon sa propre expression -, parfois « contre l’avis du gouvernement ». Pour obtenir ses « succès », le MEDEF peut compter sur des hommes bien introduits à l’Assemblée nationale : Jean-Pierre Philibert, député (Démocratie libérale, UDF) de 1993 à 1997, recruté par le patronat immédiatement après sa défaite, qui dirige le département de lobbying dit « relations avec les pouvoirs publics », et Guillaume Ressot, embauché en 2003, après un séjour au Palais-Bourbon comme chargé de mission au groupe UMP.

Lire la publication du MEDEF sur ses succès parlementaires :

Publication du MEDEF automne 2006

 D’après l’agence Reuters, les enquêteurs de la brigade financière ont décelé des pics de retraits en espèces sur les comptes de l’UIMM dans les périodes précédant les élections présidentielles et législatives en 2002 et 2007. Et, selon le Nouvel Observateur, ils seraient sur plusieurs pistes, « dont celle d’un actuel ministre et d’un homme politique ambitieux, resté aux portes du gouvernement », et ils s’intéressent « aussi à l’UNI, le syndicat étudiant de droite dont les militants auraient contribué à la campagne présidentielle ». Dans ce contexte, des parlementaires de l’opposition demandent qu’une instruction judiciaire soit ouverte qu’« à défaut, une résolution pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sera déposée ».


QUELQUES SUCCES ORDINAIRES DU GRAND PATRONAT AU PARLEMENT

 28 octobre 2004. Licenciements :le MEDEF amende, et le revendique :

 ?? l’occasion de l’examen au Sénat de la loi de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, qui comprend un volet de facilitation des licenciements, le MEDEF remet à des parlementaires une liasse estampillée MEDEF de 22 amendements prêts à l’emploi.Il y est question notamment de rendre encore plus aisé le recours aux licenciements économiques en introduisant dans la loi la notion de « sauvegarde de la compétitivité ». Cela ne gêne pas plusieurs sénateurs de droite comme Marie-Thérèse Hermange, Jacques Pelletier, Aymeri de Montesquiou, Pierre Laffite, Georges Mouly, Bernard Seillier, qui reprennent tels quels les amendements. Certains, à la signature trop voyante, seront rejetés. Mais quelques-uns seront adoptés avec l’aval du gouvernement. Début janvier 2005, le chef du lobbying au patronat, Jean-Pierre Philibert, s’exprime dans les colonnes du Progrès : « Vous avez vu le résultat, on nous avait dit : "Ils n’y seront pas, ces amendements du MEDEF." Et bien, deux mois plus tard, ils y sont ! »

 14 novembre 2002, les fonds de la Formation Professionnelle :

 ?? l’occasion du débat sur le budget 2003, Jean-Michel Fourgous, ex-condisciple de Laurence Parisot à Sciences-Po, et Jean Ueberschlag, tous les deux députés UMP, se font les interprètes des desideratas du patronat de la métallurgie à l’Assemblée nationale en matière de « souplesse » d’utilisation des fonds de formation professionnelle, une manne de plus de 20 milliards d’euros. Les deux députés veulent permettre à « nos entrepreneurs (...) qui gèrent les fonds » de les répartir à leur guise, pour éviter qu’« une trésorerie excédentaire aiguise l’appétit du fisc » (sic). Le gouvernement rechigne, craignant de favoriser trop ouvertement « l’UIMM » au détriment des branches patronales « moins bien dotées ». Fourgous, coprésident du groupe parlementaire Génération entreprise, fait jouer alors sa connivence avec les instances patronales : « J’ai interrogé le MEDEF, il est favorable à mon amendement, ce n’est donc pas seulement l’UIMM qui est concerné. » Au final, le patronat aura en partie satisfaction, le gouvernement prenant « l’engagement » de lancer « une étude d’impact » et une « concertation avec les partenaires sociaux » sur cette demande.

 9 octobre 2002 Temps de travail, un accord gravé dans le marbre :

Après avoir élaboré en 1998, avec le concours de FO, de la CFTC et de la CGC, un des accords de branche qui prenaient le plus spectaculairement à revers tous les principes de la première loi Aubry sur la réduction du temps de travail, l’UIMM a attendu le retour de la droite au pouvoir pour le sanctuariser.
Et une fois encore, début octobre 2002, la fédération patronale obtient gain de cause par surprise : l’UMP Pierre Morange et l’UDF Hervé Morin réussissent à faire adopter in extremis en commission un amendement qui prévoit la « sécurisation » des accords de branche sur la RTT : au nom du dialogue social, ces accords ne peuvent être remis en cause. Et ils ajoutent une autre douceur à cette gourmandise : dans un autre amendement, ils reviennent sur une jurisprudence de la Cour de cassation et modifient le régime des astreintes en faveur du patronat...

 23 novembre 2005 Fiscalité , à la santé du patron !

Pendant de longs mois, le MEDEF et l’UIMM ont mobilisé leurs troupes sur une grande question : les repas d’affaires, menacés par une circulaire de la Sécurité sociale qui entendait limiter leur nombre à cinq par mois dans les frais d’entreprises défiscalisés... Après que Laurence Parisot a écrit au Premier Ministre, le député UMP Dominique Tian, réputé très proche du patronat, a bien voulu interpeller le gouvernement en séance publique. Le ministre en charge du dossier a promis un « réexamen » mais, afin de pousser l’avantage, le député a également déposé une « proposition de loi relative aux frais professionnels déductibles de l’assiette de cotisations de la Sécurité sociale ».

 3 décembre 2002 :Harcèlement

Bête noire du patronat pour son volet anti-licenciements voté en 2001, la loi de modernisation sociale a été démolie par la droite en 2002, avec la complicité active du MEDEF.
Non content de voir sept de ses articles « suspendus » par François Fillon avant d’être abrogés définitivement, le patronat a fait jouer avec succès tous ses relais au Parlement pour dépecer d’autres dispositions favorables aux salariés, comme celle réprimant le harcèlement moral au travail ou l’amendement Michelin qui obligeait à négocier le passage aux trente-cinq heures avant tout plan - social.

Les députés UMP Chantal Bourragué, Pierre Morange, Olivier Dassault, Jean-Michel Fourgous, Hervé Novelli (aujourd’hui secrétaire d’ ??tat aux PME), Dominique Tian se sont illustrés par des batailles d’amendement pour faire porter au salarié victime, et non plus à l’accusé, la charge d’apporter la preuve, ou non, de la réalité du harcèlement vécu dans l’entreprise, à la demande expresse des instances patronales, de l’UIMM comme du MEDEF.

 5 juillet 2007 : ISF,voeux exaucés.

« Fantastique », mais « il faut aller plus loin », a dit Laurence Parisot, à propos du paquet fiscal de 15 milliards d’euros.
Le patronat souhaitait que les déductions d’ISF pour les investissements dans les PME soient étendues à l’intégralité du capital : aussitôt dit, aussitôt fait.

En 2006, les mêmes, Hervé Mariton et Louis Giscard d’Estaing (UMP) en tête, avaient satisfait sur le champ Laurence Parisot pour exonérer 570 000 entreprises supplémentaires d’impôt forfaitaire annuel (IFA). Dans le budget 2008, les députés UMP ont à nouveau cédé au patronat, en ajoutant de nouveaux allègements fiscaux pour les gros actionnaires.


Il s’agit bien d’argent sale et de pratiques sales

par Gérard Filoche, inspecteur du travail, rédacteur en chef de Démocratie et socialisme (*)

 Le plus grand scandale de ce début de siècle éclate parmi les proches soutiens de Sarkozy, au coeur du patronat : une « caisse noire » de six cent millions d’euros dont Denis Gautier-Sauvagnac (dit « DGS »), délégué général de l’UIMM (Union des industries et métiers métallurgiques) a reconnu qu’elle lui servait à distribuer en secret environ deux millions d’euros en liquide par an. Il paraît, selon ses prédécesseurs, que cela fait 123 ans que cette « caisse noire » existe. Il paraît que cela aurait pu atteindre dans le passé un milliard d’euros.

 D’où vient cet argent ? D’une double cotisation des entreprises de la métallurgie. Pourquoi une double cotisation de ce type, de cette importance ? Sur quelle ligne comptable des sociétés concernées figure-t-elle ? Retirée de quels autres versements non effectués (salaires, cotisations sociales, impôts, etc.) ? On ne sait pas. ?? qui ces cotisations clandestines sont-elles versées ? ?? l’EPIM, une caisse dite d’entraide. Où sont déclarés, enregistrés ces transferts de millions d’euros en liquide ? Nulle part.

  ?? qui va cet argent liquide ? DGS refuse de « donner des noms ». Il défie les enquêteurs. Cela fait trois semaines que « l’enquête préliminaire » reste préliminaire...

L’UIMM a invoqué vaguement le droit syndical et la loi Waldeck-Rousseau de 1884 pour justifier cette « pratique ». Il est curieux d’entendre l’UIMM tellement acharnée à moderniser le droit du travail, se réclamer d’une si vieille loi. Et totalement inappropriée, car la loi de 1884 sur le droit syndical reconnaissait les syndicats mais elle les excluait de l’entreprise, et n’ouvrait donc aucune possibilité qu’une entreprise cotise légalement.

 DGS a laissé filtrer que cet argent pouvait aller à des « oeuvres sociales, à des retraités et malades de la métallurgie », puis qu’il servait à « fluidifier les relations sociales », puis qu’il servait à « prévenir des conflits sociaux », etc.

Où sont les bienheureux retraités et malades de la métallurgie qui reçoivent deux millions d’euros par an en liquide ? La « fluidification des relations sociales » ? Quel beau pseudonyme pour la corruption. Mais DGS payait quoi ? Des « jaunes », des syndicats pourris, des accords secrets sous la table de négociation ?

Tous les syndicats unanimes démentent évidemment cette corruption.

Si cet argent est donné à titre « préventif » à certains patrons pour les aider à tenir « bon » au cours d’un conflit, c’est donc une « caisse briseuse de grèves » dont il s’agit. Alors que la grève est un droit constitutionnel.

Si cet argent va aux employeurs pour « réparer les effets d’un conflit », il s’agit rien de moins que de truquer la fameuse « concurrence libre et non faussée » en compensant pour tel ou tel employeur le coût de la grève à laquelle il a résisté.

DGS exige à grands cris que les jours de grève ne soient pas payés aux salariés, mais il les paie, en liquide et en secret aux patrons ?

Si c’est argent est donné en complément de salaire, de la main à la main, en liquide, à des « collaborateurs » de DGS, c’est encore plus difficile à justifier de la part d’un patron responsable de l’Unedic, non ?

Au passage, il est même apparu que DGS, selon les enquêteurs, s’est fait un prêt à lui-même au nom de son organisation. DGS a démissionné de la présidence de l’UIMM, mais il en reste le « délégué général », poste rémunéré 240 000 euros par an.

 Laurence Parisot, la patronne du MEDEF dont l’UIMM est le pilier, joue les ingénues. Mme Parisot affirme pourtant que « beaucoup le savaient inconsciemment ». Ce concept de « savoir inconscient collectif » est fascinant, non ? Il s’agit bien d’argent sale et de pratiques sales.

Ils sont extraordinaires ces patrons, barons, maîtres de forges, et autres ; ils veulent absolument sortir du système social, selon eux archaïque, qui existe depuis 1945, mais ils fonctionnent avec un système de caisse noire datant de 1901 ! On nous indique qu’une information judiciaire pourrait être ouverte. Mais ça traîne. La justice de Mme Dati est moins lente et plus expéditive quand il s’agit de petits jeunes de banlieue.

La présomption d’innocence doit être respectée mais il est manifeste que ces gens de l’UIMM et du MEDEF se concertent chaque jour et tentent d’effacer les preuves et de mieux mentir ensemble à la justice. Laurence Parisot (qui en sait beaucoup, inconsciemment) déclare : « Attendez-vous à des hauts et des bas, il y a aura encore des journées pas très sereines. Il y aura d’autres rebondissements dans la presse et avec les enquêteurs. » Car cela fait longtemps qu’ils récidivent à l’UIMM et au MEDEF : 123 ans !

Le pire c’est que Sarkozy s’est engagé à demander au Parlement d’alléger les lois pour le droit des affaires de tous ces grands patrons ! Au moment des initiés d’EADS, des millions en liquidede l’UIMM MEDEF, est-ce bien la priorité ?

(*) www.democratie-socialisme.org

Article publié le 5 novembre 2007.


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