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Que dit l’article 2 de la loi travail et pourquoi il est dangereux pour les salariés : l’analyse de Marie-Laure Morin, juriste, spécialiste du droit de la négociation collective ancienne directrice de recherche au CNRS, ancien Conseiller à la chambre sociale de la Cour de Cassation et autres commentaires et analyses.

Si les dispositions régressives de la loi travail ne se résument pas à l’article 2 ( voir ci-dessous les analyses de la Fondation Copernic ou celle du Syndicat des avocats de France ), ce dernier focalise toutes les attentions et commentaires.

Le Président du MEDEF l’a réaffirmé tout comme son collaborateur Manuel Valls : interdit d’y toucher !

Cet article contient en effet tous les ferments de la remise en cause des droits et protection des salariés en jetant par dessus bord la primauté de la loi et de l’accord de branches sur l’accord d’entreprises, ouvrant dès lors la voix à un code du travail à la carte et au dumping social au sein d’un même branche d’activité, une loi et un article qui, comme le dit le syndicat des avocats de France instaure un droit du travail au service des seuls intérêts des grands groupes.

L’article 2 ce sont 55 pages ( de la page 36 du projet de loi à la page 91 ) aux conséquences majeures en termes d’organisation du temps de travail et de rémunération pour les salariés .

L’exposé des motifs de la loi par le gouvernement en dit suffisamment long pour imaginer quelles seraient les conséquences pour les travailleurs si la loi passait :

 L’intégralité du projet de loi :

LOI TRAVAIL.

 L’analyse du syndicat des avocats de France :

Analyse du Syndicat des avocats de France.

 L’analyse de la Fondation Copernic :

Analyse fondation Copernic.

L’article 2 du projet de loi de travail, dont l’objet est la négociation du temps de travail dans l’entreprise, fait aujourd’hui l’objet d’un bras de fer à partir de postures qui masquent la réalité actuelle de la négociation d’entreprise sur le sujet et les enjeux importants de « la hiérarchie des normes ».

 Préalable. Le temps de travail est une institution primordiale du droit du travail parce qu’il s’agit de travail humain. Si ce travail, fourni en contrepartie d’une rémunération, fait l’objet d’un contrat, il n’est pas une simple marchandise, car on ne peut pas dissocier le travail de la personne, qui l’accomplit. Le travail est d’abord le travail humain. C’est pourquoi « Le travail n’est pas une marchandise » dit le préambule de la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Dans l’économie du contrat, les règles sur le temps de travail ont de ce fait trois fonctions essentielles pour protéger le travailleur :

 assurer la protection du corps, c’est à dire de la santé du travailleur (c’est au cœur des discussions sur les forfaits jours, le temps de travail des apprentis, et les règles du travail de nuit par exemple) ;

 déterminer la rémunération du salarié : la notion de durée légale du travail qui déclenche le seuil des heures supplémentaires signifie qu’au delà d’une certaine durée, le travail doit être payé plus cher. Cela a évidemment des conséquences sur le « coût » du travail ;

 tracer la limite de la subordination, et donc la frontière entre le temps de travail et la vie personnelle. Au temps du salarié connecté, cet enjeu est aujourd’hui essentiel.

Il ne suffit donc pas de dire qu’il faut favoriser la flexibilité du travail pour favoriser l’emploi (argument trop souvent rabâché) ; encore faut-il que le flexibilité du temps de travail ou de sa rémunération ne s’accompagne pas de conditions de travail inacceptables.

La situation actuelle sur la négociation du temps de travail. Depuis les lois Auroux de 1982, la durée et de l’aménagement du temps de travail sont, avec les salaires réels, l’objet principal de la négociation d’entreprise. Précisément parce que c’est à ce niveau que l’on peut traiter des problèmes concrets pour adapter les solutions à la réalité des entreprises.

De multiples facultés de dérogations à la loi, comme à l’accord de branche ont depuis 35 ans ouvert le champ de cette négociation d’entreprise au fil de changements législatifs multiples.

La négociation d’entreprise s’est réellement développée et tous les syndicats signent de nombreux accords. La loi de 2008 a déjà affranchi totalement la négociation d’entreprise de l’accord de branche, sauf sur la question du taux de majoration des heures supplémentaires. Justifier le projet actuel avec l’argument de la nécessité de développer la négociation d’entreprise est donc un rideau de fumée puisque cela se fait depuis longtemps.

Où sont alors les problèmes ? Il y en a au moins trois.

1/ La fixation par accord d’entreprise du taux des heures supplémentaires.

Le temps de travail est évidemment une variable centrale du coût du travail. Baisser le coût du travail en baissant la rémunération des heures supplémentaires, ou en ajustant le temps de travail et la rémunération convenue pour préserver l’emploi (cas des accords « emploi » prévus par le projet de loi), a évidemment des effets sur le marché de travail et peut accroitre la concurrence des entreprises entre elles.

C’est l’argument central des opposants à la loi, et ils ont raison.

Dans le modèle européen de négociation collective, la convention de branche définit les règles du marché du travail dans un secteur d’activité donné pour éviter le dumping social.

Elle fixe ainsi le salaire minimal horaire pour une qualification donnée, ou le taux minimal des heures supplémentaires. Jusqu’en 2008 ce taux relevait de la loi (25 ou 50 %).

La loi de 2008, qui a pourtant affranchi la négociation d’entreprise sur le temps de travail, a réservé à l’accord de branche la possibilité de baisser de 25 à 10 % le taux des heures supplémentaires. Pourquoi la branche ?

Parce que le taux de rémunération minimale des heures supplémentaires a évidemment des conséquences sur la situation de la concurrence dans le secteur d’activité en cause.

Le projet franchit pourtant le pas et prévoit qu’un accord d’entreprise, seul, pourra baisser le taux des heures supplémentaire.

2/ Le modèle de hiérarchie des normes inscrit dans le projet.

Le projet prévoit dans son article 1 que le Code du travail doit être réécrit à partir de principes « essentiels » dans le respect de l’article 34 de la Constitution.

Sur quel modèle cette réécriture doit-elle se faire ?

Sur le modèle proposé par l’article 2 du projet de loi en matière de temps de travail ? Rien n’est dit là dessus.

Or il faut absolument lever le doute car le modèle de hiérarchie des normes qui figure dans l’article 2 constitue bien un renversement par rapport à notre système actuel.

Le modèle du projet est le suivant : il y a d’abord des règles légales d’ordre public, correspondant aux exigences de l’article 34 de la Constitution (n’entrons pas dans la discussion sur l’étendue de ce champ qui est affaire de constitutionnalistes) ; dans ce cadre, l’accord d’entreprise peut déterminer les règles du temps de travail, et ce n’est qu’à défaut d’accord d’entreprise, que les stipulations de l’accord de branche s’appliquent ou à défaut les règles légales supplétives.

L’accord d’entreprise même moins favorable prime donc l’accord de branche, alors que jusque là, sauf facultés de dérogations prévues par la loi elle-même, l’accord de branche prime l’accord d’entreprise qui peut l’adapter ou l’améliorer.

La commission Combrexelles, dont les conclusions ont inspiré le projet, proposait un tout autre schéma pour réordonnancer le maquis actuel : des règles légales d’ordre public, (art.34 de la Constitution), des conventions de branches avec des fonctions enrichies qui peuvent déterminer quelles sont les règles de la convention « d’ordre public conventionnel », c’est à dire qui s’imposent à l’entreprise, et enfin des accords d’entreprises pour améliorer les premières ou définir les règles librement en leur absence.

Le rapport Combrexelles clarifie donc l’actuelle hiérarchie des normes, mais ne le bouleverse pas. Il considère bien que l’aménagement du temps de travail, les conditions de travail et l’emploi relèvent de la négociation d’entreprise, mais sans pour autant nier la tutelle que la branche peut exercer.

Pour la Commission, les conventions de branche doivent couvrir, comme c’est déjà le cas, tout ce qui concerne le marché du travail (salaire minimum, qualification, formation), mais éventuellement aussi d’autres questions pour lesquelles les partenaires sociaux de la branche jugent la régulation à son niveau essentielle. Il n’est pas question d’interdire, par principe, à la branche de fixer des règles impératives sur une question ou une autre si elle l’estime nécessaire.

Or le projet fait l’inverse sur les questions du temps de travail.

Juridiquement d’ailleurs, on peut se demander, au regard du principe de liberté de négociation consacré par la Constitution et les conventions internationales de l’OIT (Conv. 87) si la loi peut interdire à une convention de branche de fixer des règles impératives sur une question. Si l’on veut faire confiance aux acteurs, laissons ceux de la branche décider de ce qui est impératif, en fonction de la réalité de leur secteur d’activité.

On l’a dit, actuellement la question du temps de travail est déjà principalement réglée par les accords d’entreprise (sauf le taux des heures supplémentaires).

Pourquoi donc créer un problème là où il n’y en a pas, sinon parce que l’objectif à terme est bien de libérer l’accord d’entreprise de la tutelle de la branche, non seulement sur le temps de travail, mais à terme beaucoup plus largement ?

Ce changement de modèle, le MEDEF le réclame depuis 30 ans (cela s’appelait alors le contrat collectif d’entreprise qui s’inspire de solutions anglo-saxonnes, et non de la tradition européenne).

Mais si cela convient aux grandes entreprises, les petites entreprises n’en veulent pas, parce que pour elles la régulation de branche est essentielle pour réguler la concurrence. Pourquoi alors vouloir à tout prix imposer des solutions qui tournent le dos à notre modèle social et qui ne sont pas majoritaires dans le pays.

3/ Les garanties de négociation.

On nous répète à l’envie que les accords seront désormais des accords majoritaires, et que pour développer la participation et la démocratie interne dans l’entreprise, il pourra être fait appel au référendum des salariés par les syndicats minoritaires. Ceci offrirait donc toute garantie contre les risques d’accords déséquilibrés.

Indépendamment du risque de « chantage à l’emploi », bien réel lors d’un référendum, qu’en est-il techniquement ?

Il faut d’abord préciser ce qu’on entend par accord « majoritaire », en matière de négociation collective.

Dans le langage commun, un accord majoritaire est un accord approuvé par la majorité des personnes concernées, ou en cas de système représentatif, par la majorité des représentants désignés. Dans la démocratie politique, une loi est approuvée si elle est votée à la majorité des suffrages exprimés des députés.

La démocratie dans l’entreprise est aussi une démocratie représentative.

Ce sont les syndicats, comme organisation collective, qui sont les représentants des salariés dans la négociation collective (constitutionnellement la négociation collective est un élément de la liberté syndicale)

Mais tous les syndicats présents dans l’entreprise ne peuvent pas négocier. Il faut qu’ils aient une certaine légitimité, c’est à dire qu’ils soient « représentatifs ». Cette représentativité est établie depuis la loi du 20 août 2008 lors des élections professionnelles, tous les 4 ans.

La loi considère qu’est représentatif dans une entreprise, et peut donc négocier, tout syndicat qui a obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. En effet, seuls les syndicats peuvent présenter des candidats au premier tour des élections. Les suffrages sont donc forcément exprimés en faveur d’un syndicat.

Ce taux de 10 % n’est pas très élevé, il peut ainsi y avoir plusieurs syndicats représentatifs dans l’entreprise, mais il peut aussi y avoir des syndicats qui n’ayant pas fait ce score, ne sont pas représentatifs dans l’entreprise et ne peuvent donc pas négocier les accords de cette entreprise. Enfin aujourd’hui pour qu’un accord soit valable, il doit être signé par des syndicats représentant 30 % des suffrages exprimés à ce premier tour des élections.

Mais des syndicats représentant plus de 50 % des suffrages exprimés peuvent si opposer

Dans le projet de loi, la logique est inverse. Mais l’accord dit « majoritaire » dans l’entreprise, devra réunir 50 %, non pas de tous les suffrages exprimés au premier tour des élections, mais des seuls suffrage exprimés en faveur des organisations représentatives (celles qui ont donc réuni au moins 10 % des voix au premier tour).

Il ne s’agit pas d’une nuance, mais de l’expression d’une défiance vis à vis des syndicats, pour essayer à tout prix d’obtenir une signature valable.

Donnons un exemple. Plusieurs syndicats sont présents dans une entreprise de 100 salariés, et 60 suffrages des salariés sont exprimés au premier tour des élections ; 2 syndicats réunissent l’un 20 % des 60 voix et l’autre 25% de ces voix exprimées c’est à dire 12 et 15 voix chacun : ils sont représentatifs ; les autres syndicats se partageant les 33 suffrages exprimés restant, sans qu’aucun n’atteigne 10 % des voix, ils ne sont donc pas représentatifs dans cette entreprise. Dans une telle hypothèse, la majorité, et c’est là un point fondamental s’apprécie, non pas par rapport à 60 voix, mais seulement par rapports aux seules voix des suffrages réunis par les syndicats représentatifs, soit 12+15 = 27 voix.

Un seul syndicat représentatif dans l’entreprise réunit cette condition, celui qui a réunit 15 voix !

Compte tenu de la base de calcul de cette majorité très particulière, le caractère « majoritaire » de l’accord selon le projet de loi n’est qu’un trompe l’oeil.

Si l’accord n’est pas conclu, c’est à dire dans notre exemple si le seul syndicat représentatif majoritaire (au sens de la loi) ne veut pas signer, un syndicat représentatif qui a réuni plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives (dans notre exemple, 30 % de 27 voix = 9 voix au moins, le second syndicat représentatif remplit donc la condition), peut soumettre le projet au référendum des salariés. Si le projet réunit la majorité des salariés (ici 51 voix), il sera adopté. La solution est cette fois réellement« majoritaire ». Et on peut comprendre cette solution pour éviter un blocage de la négociation, puisque le référendum ne peut être organisé que s’il n’est pas possible d’obtenir la signature de syndicat majoritaire au sens de la loi.

Mais l’inconvénient de cette solution est d’accroitre la division syndicale, et de favoriser le corporatisme d’entreprise. De plus dans un référendum, le risque d’un chantage à l’emploi est majeur. Le référendum n’est pas une panacée.

Donner la parole aux salariés, dans un esprit démocratique, pourquoi pas. Mais il faut que cela favorise la confiance des salariés vis à vis des syndicats pour lesquels ils ont votés majoritairement. Cela supposerait d’abord de prévoir que la majorité nécessaire à la validité de l’accord est appréciée par rapport aux suffrages exprimés (31 voix). Cela n’empêche pas d’organiser avant la signature de l’accord à l’initiative d’un ou plusieurs des syndicats représentatifs dans l’entreprise, un vote du personnel simplement consultatif.

Article publié le 5 juin 2016.


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