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Temps de travail en France : la propagande affichée de l’institut patronal COE Rexecode.

Article de Guillaume Duval ( économiste ). Alternatives Economiques janvier 2012

L’étude sur le temps de travail présentée par COE Rexecode, un institut patronal, n’apporte pas d’éléments réellement nouveaux et ses conclusions reposent sur un raisonnement erroné.

L’institut COE Rexecode, proche du patronat, vient de publier une étude sur le temps de travail des Français. Elle est censée démontrer une fois de plus combien les 35 heures sont nocives à l’économie du pays. COE Rexecode met en avant en particulier le faible temps de travail des salariés à temps plein. Cela ne constitue pourtant en aucune manière un scoop, et les conclusions plus générales que l’institut prétend en tirer reposent sur une analyse erronée.

Temps de travail : beaucoup d’approximations

L’estimation du temps de travail annuel réel des salariés des différents pays est une affaire très complexe et ceux qui travaillent sur ces questions savent que les statistiques publiées par les différents organismes comme l’OCDE ou Eurostat sont à prendre avec précaution car elles reposent sur de nombreux retraitements, estimations et conventions. La principale source d’informations réellement comparable est fournie par l’enquête trimestrielle sur les forces de travail réalisée dans des conditions (théoriquement du moins) identiques sous l’égide d’Eurostat auprès d’une quantité importante de personnes dans chacun des 27 pays de l’Union. En France, cette enquête est menée par l’Insee et porte le nom d’ « enquête emploi ».
Cette enquête comporte notamment une question sur le temps de travail effectivement travaillé par la personne interrogée durant une semaine dite de référence.

Les résultats publiés par Eurostat donnent pour la France un temps de travail des salariés à temps plein de 38 heures en 2010 et des salariés à temps partiel de 22,5 heures pour une moyenne globale de 35,2 heures (voir graphique). Ces chiffres ne représentent cependant que le temps de travail moyen des personnes qui ont effectivement travaillé durant cette semaine de référence. Un certain nombre des personnes interrogées étaient alors en maladie, congés et ne sont pas prises en compte… COE Rexecode prétend que cette présentation aurait induit les observateurs en erreur parce qu’elle les aurait incités à calculer les temps de travail annuels en se contentant de multiplier ces temps hebdomadaires par 52. Mais à ma connaissance aucun observateur ni aucun organisme sérieux n’a jamais commis une erreur aussi grossière : ils ont toujours corrigé ces données brutes hebdomadaires avec des données de congés, de maladies…

On savait déjà que les salariés à temps plein français travaillaient moins qu’ailleurs

Source : Eurostat

COE Rexecode a obtenu d’Eurostat qu’il recalcule ces données en incluant cette fois les personnes qui n’ont pas travaillé du tout, ce qui naturellement fait chuter les moyennes. L’institut a déterminé ensuite des temps de travail annuels en se contentant simplement de multiplier ces nouvelles données hebdomadaires par 52 pour aboutir à une durée qui n’est donc plus corrigée en fonction de taux de maladies, de semaines de congés annuels… Une approche qui n’est pas inintéressante, même si cette méthode simpliste comporte sans doute également des biais liés notamment aux différences probables dans le traitement des personnes absentes au moment de l’enquête entre pays. Mais au bout du compte les résultats auxquels COE Rexecode aboutit, essentiellement le fait que les salariés français à temps plein sont ceux qui travaillent le moins longtemps en Europe avec les Finlandais, n’ont absolument rien d’un scoop. Comme on le constate sur le tableau joint, tous ceux qui se sont penchés sur la question le savaient déjà sur la base des données présentées traditionnellement par Eurostat… On a donc affaire sur ce plan à un faux scoop monté artificiellement en épingle pour des raisons qu’on imagine aisément en cette période préélectorale.

Au global, pas de différence avec les autres européens

Au niveau de l’ensemble des salarié(e)s, ce faible temps de travail des salarié(e)s à temps plein est cependant compensé par le temps de travail plus important que la moyenne, un des plus importants d’Europe, des salarié(e)s à temps partiel, combiné à un taux relativement faible de temps partiels en France.

Ce qui aboutit à ce que le temps de travail de l’ensemble des salariés français se situe certes dans le bas du tableau : il est en particulier très inférieur à ceux observés en Turquie, en Roumanie, en Bulgarie ou encore en Grèce, mais reste néanmoins très proche de la moyenne de la zone euro et supérieur à celui qu’on mesure en Suède au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas…

En bref, il ne diffère pas de celui des autres pays d’Europe les plus riches et développés même si il est très inférieur à celui des pays les plus pauvres et en retard…

COE Rexecode prétend également que ce serait en France que le temps de travail aurait le plus baissé en Europe depuis 1999. Mais le mode de calcul particulier adopté par COE Rexecode pose encore plus de problèmes pour les données anciennes car la méthodologie de l’enquête emploi a changé en 2003 : d’annuelle, elle est devenue alors trimestrielle. Ce qui modifie notamment la signification qu’on peut accorder au décompte des personnes qui n’ont pas travaillé, Cette rupture méthodologique se traduit d’ailleurs par une discontinuité marquée et inexpliquée dans les séries produites par COE Rexecode. Si on s’en tient aux données classiques d’Eurostat, on constate que la France figure en effet parmi les pays qui ont le plus réduit le temps de travail à temps plein, derrière toutefois la Lettonie, la République tchèque et la Slovaquie. Mais si on s’intéresse de nouveau à l’ensemble des salariés, l’Irlande, l’Autriche et l’Allemagne viennent s’ajouter aux trois pays précédents et la France n’est plus que le 7ème pays de l’Union pour la réduction du temps de travail depuis 1999. On est donc bien loin donc de la situation totalement exceptionnelle décrite par COE Rexecode…

D’autres pays ont réduit davantage le temps de travail que la France

Temps de travail hebdomadaire effectif de l’ensemble des salariés en heures. Source : Eurostat

Le cœur de l’argumentation de l’institut patronal repose sur l’idée que cela n’a aucun intérêt de regarder ce qui se passe au niveau de l’ensemble des salariés et que seules comptent dans les comparaisons internationales les comparaisons terme à terme du temps de travail par catégories de salariés homogènes, travailleurs à temps plein d’une part, à temps partiel d’autre part. Après les faux scoops, il s’agit cependant là d’un raisonnement manifestement erroné.

Le choix de l’égalité hommes-femmes

C’est évidemment inexact si on s’intéresse à l’effet des questions de temps de travail sur le fonctionnement de la société dans son ensemble.

En France comme partout ailleurs le temps partiel est quasi exclusivement du temps partiel féminin. On l’a vu : le travail à temps partiel est relativement peu répandu dans l’Hexagone et, quand il existe, celles qui occupent ces postes travaillent plus longtemps en moyenne qu’ailleurs en Europe, tandis qu’au contraire les salariés à temps plein, et notamment les salariés hommes, travaillent plutôt moins longtemps qu’ailleurs.

Cet état de fait traduit une préférence enracinée pour l’égalité hommes-femmes dans la sphère professionnelle, qui est partagée avec le monde scandinave et les pays de l’ex-bloc soviétique, même si les inégalités toujours très marquées dans la gestion des tâches domestiques en limitent fortement l’effet réel.

Alors que dans le monde germanique (en Allemagne, mais aussi en Suisse, aux Pays bas, en Autriche, au Luxembourg…) et anglosaxon, la forte prégnance du travail à temps partiel féminin traduit la persistance du modèle dominant de l’homme au travail et de la femme au foyer qui n’a commencé à être abandonné que depuis relativement peu de temps.

Vouloir aligner les temps de travail des différentes catégories de salariés français sur le modèle dominant ailleurs en Europe, comme le souhaite COE Rexecode, reviendrait à renoncer durablement à cette quête d’égalité professionnelle hommes-femmes, certes très loin d’être achevée. Le fait que cette problématique sociétale échappe totalement à l’institut patronal qu’est COE Rexecode n’est bien entendu guère surprenant.

Peu d’écart de temps de travail hommes-femmes en France

Temps de travail hebdomadaires effectif des salariés hommes et femmes en heures en 2010 et écart.Source : Eurostat

Ce qui l’est plus par contre, car ça frise la mauvaise foi, c’est que COE Rexecode refuse de reconnaître que cet arbitrage particulier entre temps pleins et temps partiels est non seulement parfaitement défendable sur le plan sociétal, mais aussi en réalité plus efficace économiquement.

Tous les chefs d’entreprise le savent : rien de plus difficile à gérer que des équipes où les temps partiels sont nombreux, surtout quand, en plus, ces temps partiels sont de faible durée : les salariés en question sont peu impliqués et peu motivés ; le coût de coordination est particulièrement élevé pour se passer consignes et informations ; même si c’est pour quelques heures par semaine, ces employés génèrent autant de paperasse et de travail bureaucratique que les autres (bulletins de paies, etc…) ; un salarié met toujours du temps à « s’échauffer » avant d’être pleinement efficace…

Bref, la multiplication des temps partiels a un effet très négatif sur le plan de la productivité du travail. Tandis qu’a contrario des semaines de travail trop longues se traduisent par de la fatigue et de la déconcentration et ne sont elles non plus en aucune manière favorables à la productivité.

Malgré les 35 heures, les salariés français figurent parmi les plus productifs

PIB produit par personne employée en milliers d’euros en 2011.Source : Commission européenne

Et d’ailleurs les chiffres le montrent aisément si on veut bien écarter un instant ses oeillières idéologiques : malgré les 35 heures, la France figure toujours avec les pays scandinaves (et les paradis fiscaux comme l’Irlande, la Suisse et le Luxembourg mais c’est pour d’autres raisons moins reluisantes) parmi les pays d’Europe où la richesse produite par chacune des personnes qui ont un emploi est la plus élevée… Les périodes électorales sont toujours favorables à des opérations de communication orientées de la part des lobbies patronaux mais celle de COE Rexecode repose sur des fondements particulièrement peu solides…

Article publié le 21 janvier 2012.


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