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NON AUX FRANCHISES DE SOINS .

« Un déremboursement qui ne dit pas son nom »

Pour le Dr Christian Lehmann, un des initiateurs de la pétition contre la franchise, cette réforme poussera certains malades à retarder leurs soins.

 Les concepteurs de la nouvelle franchise sur les remboursements disent qu’ils entendent responsabiliser les assurés. Que signifie la responsabilité en matière de santé ?

 Christian Lehmann. Cette idée de responsabilité des patients est fausse. Vous êtes responsables de vos choix si vous les faites en parfaite connaissance d’un système qui vous a été clairement expliqué, qui est fléché et transparent. Le système de santé n’est rien de tout ça, il est parfaitement opaque : les Français ne comprennent pas par exemple pourquoi le médecin référent a été supprimé pour mettre en place un médecin traitant, ou dans quelle condition on paie tel soin. Dès que l’on sort des soins de médecine générale, où les choses sont encore à peu près claires, on arrive dans le domaine des remboursements de soins de médecine spécialisée, où tout semble avoir été savamment orchestré pour pouvoir augmenter le pourcentage de dépassements dans une opacité totale. On peut parler de responsabilité quand, comme au Royaume-Uni, les patients ont accès sur le site Internet du NHS (système de santé national) à de bonnes informations, indépendantes de l’industrie pharmaceutique et validées, sur les maladies et sur les médicaments. Ce n’est pas le cas en France, où il n’y a pas d’éducation à la santé.

 On a comparé la franchise sur les remboursements à ce que l’on payait pour son téléphone portable. Est-ce comparable ?

 Christian Lehmann. On peut choisir d’avoir un téléphone portable, on ne peut pas choisir d’être malade. Je m’insurge contre cette idée que les patients consommeraient n’importe comment. Ils font ce qu’ils peuvent. Ceux qui font cette comparaison s’appuient sur le fait, réel, que seuls 20 % des gens qui arrivent aux urgences des hôpitaux sont de vraies urgences. Les autres ont des angines, des bronchites, etc., qui devraient être soignées en médecine de ville. Certains pointent cela comme un signe que les Français sont vraiment des consommateurs irresponsables de soins. La réalité, c’est que beaucoup de gens qui arrivent là sont en difficultés financières, et ont perdu les capacités de dispense d’avance de frais et de tiers payant que leur offrait auparavant le système du médecin généraliste référent.

 Martin Hirsch s’est dit rassuré par les engagements du gouvernement que la franchise ne toucherait pas les plus pauvres...

 Christian Lehmann. Voilà un homme qui, un jour, sur France Inter, indique qu’il est contre, et que pour le convaincre, il faudra travailler dur ; et qui le lendemain, après un coup de fil de Roselyne Bachelot et un autre de Xavier Bertrand, se dit rassuré car la mesure serait accompagnée des exonérations nécessaires pour tenir compte des situations sociales dégradées. Or qu’a dit Roselyne Bachelot ? Elle a parlé d’exonérations pour tenir compte des situations très dégradées. On va donc se battre pour savoir qui est suffisamment pauvre pour que le président Sarkozy, dans sa grande mansuétude, le dispense de payer. On sort d’un système d’assurance maladie solidaire pour aller vers un système d’assistance. Or il faut mener ici une réflexion politique : ce discours de responsabilisation nuira aux plus faibles.

 C’est un discours qui nourrit la division entre les plus pauvres ?

 Christian Lehmann. Oui : le corollaire du discours de responsabilisation, c’est l’idée que « c’est la faute de l’autre », l’étranger qui a l’aide médicale d’ ??tat, le pauvre qui a la CMU, le salarié qui a eu un accident de travail... Cela amènera ceux qui sont un petit peu moins pauvres qui n’ont pas la CMU à se plaindre du fait que les autres, qui l’ont, peuvent se faire refaire les dents. Tout ceci a également nourri au sein même du corps professionnel de santé un rejet grandissant de soins de patients qui ont la CMU. Des testings ont été menés ces dernières années : au départ, les refus de soins concernaient des dentistes et des spécialistes en région parisienne. Six mois plus tard, nouveau testing, les refus commençaient à toucher des dentistes et des spécialistes en province. Et ensuite cela a touché des généralistes. Le discours martelé par la droite, « c’est la faute des plus faibles qui font n’importe quoi », a finalement intégré toutes les couches de la société.

 Cette franchise peut-elle dissuader les gens de se soigner ?

 Christian Lehmann. Je pense que certains remettront à plus tard des soins pour des raisons financières. Mais il y a un autre effet pervers : prenons l’exemple d’une patiente atteinte d’arthrose qui a mal au dos. Imaginons qu’en décembre 2008, elle me demande un scanner ou une IRM que je ne juge pas médicalement justifiée sur le moment, mais qui pourrait rapidement le devenir si son mal traînait. Si elle me dit qu’elle a déjà payé sa franchise, elle me demandera de lui prescrire l’examen. Devrais-je prescrire un examen qui n’est pas justifié médicalement au moment où je parle, mais que la patiente ne pourra peut-être pas se payer plus tard quand elle en aura vraiment besoin ? Je ne suis pas là pour trier les malades, mais pour les soigner. Cette franchise est un déremboursement qui ne dit pas son nom. Pire, une partie des assurés, ceux qui sont jeunes, en bonne santé, ne toucheraient, pas selon le montant définitif de la franchise, un centime de l’assurance maladie chaque année, tout en consacrant 18 % de leur salaire à son financement. Il n’y a pas de meilleur moyen de délégitimer le système, et d’ouvrir la voie à l’assurance privée.

Entretien réalisé par Lucy Bateman dans le quotidien L’Humanité du 6 juin 2007.

Article publié le 18 juin 2007.


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