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Michael Zemmour, économiste : la retraite à 65 ans ou le risque d’un désastre social.

Le décalage de l’âge de la retraite est parvenu à augmenter de 20 points le taux d’emploi des 60-61 ans, au prix social élevé d’un allongement du « sas de précarité » entre emploi et retraite. Chez les ouvriers, la hausse de la précarité, hors emploi entre 60 et 62 ans est même l’effet principal de la réforme, devant la hausse de l’emploi. A l’inverse chez les cadres, le décalage de la retraite se traduit principalement par une prolongation de l’emploi. Il n’y a pas de raison de penser qu’un décalage de l’âge légal à 65 ans n’accentuerait pas encore ces effets.

Michaël Zemmour
Enseignant-chercheur à l’Université Paris 1 (Centre d’Economie de la Sorbonne) et chercheur associé à Sciences Po (LIEPP), travaille sur l’économie politique de l’Etat social et ses transformations, avec intérêt particulier sur les questions de prélèvements obligatoires.

On ne peut pas prédire l’avenir, mais on peut se baser sur le passé pour avoir une idée un peu précise de ce que produirait, en France un décalage de l’âge légal de la retraite de 62 à 65 ans comme celui envisagé par le président de la république durant sa campagne.

Suite à la réforme « Fillon » alors Premier ministre de Nicolas Sarkozy, de 2010 à 2017, l’âge légal de la retraite est progressivement passé de 60 à 62 ans[1]. La comparaison entre la situation en 2010 et 2019, et entre la génération 1950 (dernière à avoir un âge légal à 60) et la génération 1958 (génération concernée par l’âge légal à 62 ans et pour laquelle on a les données jusqu’à 61 ans) nous enseigne beaucoup de choses sur les effets à attendre d’une éventuelle réforme portant la retraite à 65 ans.

La note de recherche en pièce jointe (encore préliminaire) détaille cette analyse. En résumé, le décalage de l’âge de la retraite est parvenu à augmenter de 20 points le taux d’emploi des 60-61 ans, au prix social élevé d’une augmentation de 15 points du « sas de précarité » entre emploi et retraite entre 60 et 61 ans. Plus précisément, les personnes qui ne sont déjà plus en emploi à 58 et 59 ans, restent « Ni en emploi ni en retraite » (NER) jusqu’à deux années supplémentaires, avec un statut moins protecteur et des revenus généralement plus faibles.

En comparant l’évolution de la situation à 61 ans de la génération 1950 et de la génération 1958 on observe les résultats suivants (Graphique 1).

Pour les ouvriers et plus encore les ouvrières (voire note en annexe), l’allongement du sas de précarité entre emploi et retraite est l’effet le plus important de la réforme (et ce malgré les dispositifs de départs anticipés). En 2019, à 61 ans le taux d’emploi des ouvrier.e.s est de 28 % tandis que le taux d’ouvrier.e.s ni en emploi ni en retraite est de 35 %[2].

Pour les cadres, la retraite à 62 ans a eu pour principal effet d’augmenter la durée d’emploi une conséquence qui peut aussi être coûteuse pour les personnes concernée – perte de deux années de temps libéré, exposition plus longue à des risques psycho-sociaux – mais qui ne diminue pas le niveau de vie de la même manière.

Graphique 1 Evolution de la situation à 60 ans, entre la génération 1950 (retraite à 60 ans) et la génération 1958 (retraite à 62 ans), par profession

Source : Enquête emploi. Champ : France métropolitaine. Calculs : M. ZemmourNote : l’âge légal de la retraite se décale progressivement. A partir de la génération 1953 il dépasse 61 ans, à partir de la génération 1955 il est de 62 ans.

Autre enseignement de l’étude, il ne s’agit pas seulement d’un décalage du sas de précarité qui avant se produisait avant 60 ans. On assiste bien à un allongement du sas de précarité[3]. Là ou avant le taux de NER des ouvriers ne dépassait 35 points qu’à 58 et 59 ans, c’est désormais le cas de 58 à 61 ans, même si on observe une (légère) baisse du taux de NER avant 60 ans.

Graphique 2 : Taux d’emploi et de NER chez les ouvrier.e.s en 2019

Source : Enquête emploi, calculs auteur.Lecture : Le taux de NER à 59 ans était de 38% en 2010 et il est de 40 % en 2019.

De plus la note souligne une différence dans l’adaptation des comportements à la réforme :

Chez les femmes (Graphique 3), il y a bien une baisse du taux de NER avant 60 ans entre 2010 et 2019, qui peut être un effet de génération (hausse structurelle du taux d’activité des femmes génération après génération), mais également en partie une adaptation des entreprises et des salariées aux réformes des retraites ("effet horizon"). Mais même chez les femmes, la hausse du taux d’emploi s’explique davantage par la baisse des retraites anticipées que par des changements de comportement, l’"effet horizon" demeure secondaire. De plus le taux de NER reste très élevé puisqu’il dépasse 33 % à 61 ans (bien supérieur au taux des hommes).

Graphique 3 : Taux d’emploi et de NER chez les ouvrier.e.s en 2019

Source : Enquête emploi, calculs auteur.

Chez les hommes en revanche, on n’observe pas du tout « l’effet horizon », c’est-à-dire une baisse des situations de chômage ou d’inactivité avant 60 ans, en réaction à la réforme (Graphique 4). L’augmentation du taux d’emploi que l’on observe est exclusivement dû à la baisse des retraites anticipées. L’allongement du sas de précarité est en revanche très net.

Graphique 4 : Taux d’emploi et de NER des hommes en 2010 et 2019

Source : Enquête emploi, calculs auteur.

Bref, le décalage de l’âge légal de la retraite est relativement efficace pour augmenter le taux d’emploi, si c’est l’objectif qui lui est assigné, mais à un coût social très élevé et très différencié : sur la catégorie des ouvrier.e.s (176 000 personnes à 61 ans en 2019), le principal effet est d’allonger le sas de précarité entre emploi et retraite, et l’effet est encore plus marqué chez les femmes ouvrières.

on ne voit pas dans les données d’adaptation massive des comportements qui pourrait effacer ce phénomène à court terme. En l’absence de changement de trajectoire, il n’y a donc toutes les raisons de penser qu’un décalage de l’âge légal de 62 à 65 ans, aggraverait encore ces effets sociaux, et de manière très différenciée par genre et par catégorie professionnelle.

En lien à ce billet vous trouverez la note de recherche.

Note de Michael Zemmour

[1] Malheureusement cela n’a pas été le seul changement de la période, puisqu’en même temps se produisait un allongement de la durée requise de cotisation pour le taux plein (de 40 à 42 annuités qui doit se prolonger jusqu’à 43), et un décalage de l’âge à atteindre pour obtenir l’annulation de la décote (qui est en train de passer de 60 à 65 ans). On ne peut donc pas tout à fait distinguer, l’effet du décalage de l’âge légal des autres mesures qui se sont produites en même temps, mais les ruptures au moment du décalage de l’âge légal sont suffisamment nette quand même pour qu’on puisse les interpréter.

[2] Les 37 % complémentaires sont en retraite anticipée.

[3] ce qui confirme des résultats précédents notamment de Marino et al. (2022)

Article publié le 1er octobre 2022.


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