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Un système de retraite éclaté et malade de ses mauvaises réformes ainsi que de la crise.

Article de Jean Marie Harribey - Economiste atterré - publié dans Alternatives Economiques.

Après son onzième rapport de décembre 2012 consacré aux hypothèses économiques et démographiques pour l’avenir (voir les deux textes précédents sur ce blog), le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié en janvier 2013 son douzième rapport pour dresser un état des lieux du système de retraite français. Les deux documents se complètent parce que l’un imagine des perspectives jusqu’en 2060 et le second se demande si le système de retraite sera capable d’y faire face. J’avais souligné, d’une part, combien était irréaliste le double pari d’une reprise de la croissance économique dès l’année prochaine dans un contexte d’austérité généralisée et d’une poursuite infinie de cette croissance même à taux modéré, et, d’autre part, combien était antisocial et antiéconomique le choix de ne plus jamais diminuer le temps de travail. On va examiner maintenant jusqu’à quel point le COR prend la mesure des dégâts occasionnés par les réformes libérales depuis 1993 d’un système éclaté qui aurait bien besoin de plus de justice pour retrouver une légitimité et une confiance de la part de la population déjà malmenée par la crise.

Un rappel

Les rapports du COR sont toujours précieux car ils contiennent une masse d’informations synthétisées comme nulle part ailleurs. De ce point de vue, le COR est une institution de la République très utile.

Le douzième rapport du COR dresse d’abord un panorama de la multiplicité de nos régimes de retraites de base et complémentaires, appelés « par répartition » et mis sur pied tout au long du dernier siècle, à des moments différents et le plus souvent branche professionnelle par branche professionnelle. La création de la Sécurité sociale en 1945 constituait un premier effort d’unification pour les salariés du secteur privé, mais il subsiste encore des régimes dits spéciaux pour les salariés de la fonction publique et de certaines entreprises publiques notamment. ?? ces régimes concernant les salariés s’ajoutent ceux qui regroupent les non-salariés de l’artisanat, du commerce et des professions libérales. Autant de régimes, autant de conditions d’accès au droit à la retraite et de règles sur les calculs des pensions, même si la tendance va plutôt dans le sens de leur rapprochement. Mais le nivellement s’est fait surtout par le bas.

On pourra lire ce rapport du COR pour le rappel des principales mesures des réformes de 1993 (Baladur), 2003 (Raffarin-Fillon), 2007 (Fillon-Bertrand) et 2010 (Sarkozy-Fillon-Woerth). La durée de cotisations exigée pour bénéficier d’une retraite à taux plein est désormais de 41,5 ans à partir de la génération née en 1955. L’ouverture du droit à la retraite intervient à 62 ans. Le taux plein est accordé à 67 ans même si la durée de cotisation exigée n’est pas atteinte. Les pensions ne peuvent plus progresser au-delà de l’inflation et leur pouvoir d’achat est donc condamné à ne jamais augmenter. Le principe d’une affectation des gains d’espérance de vie à 60 ans pour les deux tiers au temps d’activité et pour un tiers au temps de retraite est retenu. Pour le régime général de la Sécurité sociale, le salaire de référence servant au calcul de la retraite est la moyenne des 25 meilleurs salaires dans la limite du plafond de la sécurité sociale (37 032 €).

Depuis le 1er novembre 2012, les salariés ayant cotisé pendant la durée requise et ayant commencé à travailler avant 20 ans peuvent partir à la retraite à 60 ans. Enfin, certaines dispositions s’appliquent aux personnes handicapées ou pouvant « justifier » d’une incapacité due à la pénibilité du travail.

Les retraites complémentaires pour les salariés du privé restent basées sur un système par points : le nombre de points accumulés est le rapport entre le montant des cotisations totales et la valeur d’achat du point. En augmentant cette dernière, sans modifier les cotisations, on peut baisser le niveau des pensions pour équilibrer financièrement les caisses de l’ARRCO et de l’AGIRC.[1] Si un changement du système par annuités de cotisations en un système par points était opéré pour l’ensemble des régimes de base, cela signifierait que les salariés n’auraient plus aucune garantie du montant de leur future retraite. Une façon de les obliger à travailler plus longtemps pour compenser la perte de valeur du point.

Le niveau des pensions, première difficulté

Les inégalités entre hommes et femmes restent très importantes. Elles sont dues à celles qui prévalent encore dans l’emploi et qui se répercutent dans les pensions, d’autant plus que les réformes passées, ayant durci les conditions d’accès à la retraite ont aggravé les choses : «  ?? la fin 2010, le montant moyen de la pension de droit propre (hors réversion et hors majoration pour trois enfants et plus) s’élève à 1 216 € par mois (1 552 € pour les hommes et 899 € pour les femmes). Cette statistique porte sur l’ensemble des personnes percevant une pension de droit propre en provenance d’un régime de retraite français, résidant ou non en France. » (p. 35).

Si, malgré les réformes, il y a encore, en moyenne, une petite progression des pensions par rapport à l’inflation, cela est dû à l’effet dit noria, correspondant au fait que les générations actuelles à la retraite ont eu des carrières plus avantageuses que celles d’autrefois. Les femmes, qui ont accédé au salariat, ont bénéficié de cette progression. Les retraités dont les salaires étaient bas ont des taux de remplacement qui sont encore élevés grâce aux minima de pension.

Bien que les règles de calcul soient très différentes selon les régimes, « les taux de remplacement médians des salariés du secteur privé et du secteur public sont proches (respectivement 74,5 % et 75,2 %) » (p. 38). Cependant la dispersion des pensions est plus importante pour les retraités venant du privé que pour ceux du public.

Le COR compare le niveau de vie disponible par unité de consommation des retraités par rapport à celui des actifs : 98 % en incluant les revenus du patrimoine, 85 % en excluant ces revenus et 103 % en incluant les revenus du patrimoine et les loyers fictifs imputés aux propriétaires nets des intérêts d’emprunts versés par les accédants à la propriété. Donc, le COR établit qu’en moyenne les retraités n’ont pas un niveau de vie supérieur aux actifs et il précise en outre qu’« il faudrait aussi tenir compte d’autres éléments comme les dépenses de santé, la diminution de certains besoins de consommation avec l’âge, le temps libre, l’absence de frais professionnels mais aussi d’avantages en nature… » (p. 40). Le taux de pauvreté est le même pour les actifs et les retraités : 10,2 % en 2010.

Les choses pourraient sembler rassurantes. Mais le COR prévient que la situation des pensions cessera de s’améliorer dans les prochaines années. C’est dire de manière euphémisée que les réformes passées produiront pleinement leurs effets négatifs lorsque viendront en âge de la retraite les générations qui auront connu une vie active gravement abîmée par des années de crise, de chômage et de précarité.

L’emploi, deuxième difficulté

Les réformes passées mettaient en avant la nécessité de développer le taux d’activité des seniors, ceux de 55 à 64 ans. L’obligation de satisfaire à un nombre accru d’années de cotisation et le principe de la décote obligent évidemment les salariés à travailler plus longtemps ou à rester au chômage plus longtemps. Car ce qui était prévisible est survenu. Le COR a une formule délicieuse pour situer le problème : « Or si des progrès ont été réalisés ces dernières années en matière d’emploi des seniors, la question des transitions vers la retraite reste posée, en particulier pour ceux qui ne sont plus dans l’emploi. » (p. 48). Le COR ne se déjuge pas : « On rappellera également, comme le COR l’avait déjà fait en février 2004 dans l’avis qu’il avait rendu sur plusieurs questions concernant la surcote, d’une part, et la cohérence des dispositifs, d’autre part, que les régimes de retraite ont besoin d’actifs travaillant plus longtemps, mais également liquidant plus tard leurs droits à retraite. » (p. 49).

Et le COR peut se satisfaire de voir que : « Les dernières données publiées sur l’activité des seniors, c’est-à-dire sur ceux qui se portent sur le marché du travail et qui sont soit en emploi, soit au chômage, confirment l’augmentation du taux d’activité des 55-64 ans. En 2011, 44,4 % des personnes âgées de 55 à 64 ans étaient actives en France métropolitaine (47,2 % pour les hommes et 41,8 % pour les femmes), plus précisément 41,5 % en emploi et 2,9 % au chômage. » (p. 49). Tant pis si les seniors en emploi travaillent souvent à temps partiel (entre 55 et 64 ans, 34 % des femmes). On se contentera de : « Au-delà de ces chiffres, la question de la qualité des emplois occupés par les seniors mériterait d’être étudiée plus précisément. » (p. 49).

Autrement dit, la logique qui voulait maintenir plus longtemps les salariés au travail dans une période où les créations d’emplois étaient faibles voire négatives avec la récession ne pouvait que contribuer à aggraver le chômage, soit celui des jeunes, soit celui des seniors, soit les deux à la fois. Le COR est donc obligé de reconnaître que si le taux d’emploi des seniors a progressé, « il reste néanmoins relativement faible, notamment au-delà de 60 ans, et le retour à l’emploi des seniors au chômage reste toujours problématique, malgré les différentes politiques – sur le marché du travail et en matière de retraite – menées ces dernières années en faveur de l’emploi des seniors. » (p. 51). On notera l’aveu en forme de litote : « Un bilan d’ensemble de ces mesures serait souhaitable, tout en tenant compte du fait que leurs effets ne peuvent être immédiats, méritent d’être mesurés sur le long terme et dépendent de la situation de l’emploi en général. » (p. 51).

Comme la situation de l’emploi se dégrade partout à cause des politiques néolibérales, on n’est pas étonné du constat : « Au sein des pays de l’OCDE, beaucoup de seniors sont déjà hors de l’emploi juste avant leur départ à la retraite. C’était le cas de 60 % d’entre eux en 2006. » (p. 53).

La faillite annoncée ?

Fillon nous l’avait juré à plusieurs reprises : ses réformes garantiraient à l’avenir l’équilibre financier de l’ensemble du système de retraite.[2] Le bilan établi par le COR pour l’année 2011 fait apparaître :

  • un besoin de financement du système de retraite : 14 milliards d’euros ;
  • dont plus de la moitié provient des régimes de base : 7,9 milliards ;
  • près d’un quart provient du Fonds de solidarité vieillesse : 3,4 milliards.
  • un besoin de financement du régime général (CNAV) : 6 milliards ;
  • et un besoin de financement des régimes complémentaires de 2,6 milliards (3,7 milliards de déficit pour l’ARRCO et l’AGIRC, d’autres régimes étant excédentaires) ; à noter cependant que les organismes de retraites complémentaires disposent de réserves financières : 86 milliards en 2011 dont 65 pour l’ARRCO et l’AGIRC.

Mais on ne trouve pas dans le rapport du COR de données concernant l’impact de la crise sur les rentrées de cotisations sociales. Or la crise a privé les caisses de retraites d’environ 13 milliards en 2011.

De plus, la situation du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est dégradée depuis 2009 avec la crise : déficit de 4,1 milliards en 2010 et de 3,4 milliards en 2011. Or il est chargé de couvrir les prestations relevant de la solidarité : le minimum vieillesse, les majorations de pension pour enfants ou pour conjoint à charge, une partie du minimum contributif et la prise en charge de cotisations validées gratuitement pour cause de périodes non travaillées (chômage et maladie).

Ainsi, comme les effets annoncés du vieillissement démographique ne sont pas à la hauteur des alarmes déclenchées pour « réformer » les retraites, l’impact de la crise devient l’argument néolibéral déterminant pour poursuivre l’œuvre, au nom cette fois de l’équilibre des finances publiques. Dès lors, on va assister à la mise en avant de la nécessaire diminution des pensions, avec effet immédiat, c’est-à-dire portant sur les générations déjà la retraite, et non plus seulement sur celles à venir.

Les prévisions du COR en matière de niveau des pensions dans les prochaines décennies sont fonctions des scénarios de productivité et des modifications éventuelles des conditions d’accès au droit à la retraite. Le COR ne prévoit aucun retour à l’équilibre avant 2040, et pour 2060 un excédent de 1,7 point de PIB si la productivité évolue de la manière la plus favorable (scénario A’) et un déficit de 2,9 points de PIB si la productivité évolue moins vite (scénario C’). Les déficits cumulés de 2012 à 2060 représenteraient entre 15 % et 51,4 % du PIB en 2040, et le cumul serait négatif en 2060 même dans le scénario le plus favorable.

Au-delà des perspectives globales, il faut remarquer que le cœur du système de retraite a « un effet antiredistributif [qui] provient principalement du fait que les règles de calcul des pensions et d’acquisition des droits sont plus favorables en cas de carrière complète qu’en cas de carrière courte, et du lien statistique entre carrières courtes et bas salaires – et réciproquement entre carrières complètes et salaires plus élevés. Cela explique notamment le fait que ce caractère antiredistributif soit plus marqué parmi les femmes, dont les durées de carrière sont plus hétérogènes et parmi lesquelles les carrières courtes sont plus fréquentes. » (p. 89). Et c’est parce qu’existent parallèlement des dispositifs de solidarité et de droits non contributifs que, dans l’ensemble, les inégalités sont un peu réduites par le système de retraite global : ces dispositifs représentent un cinquième du total des retraites de droit propre, 8 % pour les droits familiaux et 13 % pour les pensions de réversion.

Au final, les questions posées par l’avenir du système de retraite portent moins sur l’équilibre global financier – lequel dépend toujours de la manière dont la société décide de répartir la richesse créée, quel que soit le montant de celle-ci – que sur les finalités d’un système de retraite rarement abordées comme telles avant toute modification des paramètres ajustant le volume des prestations.

Les questions en suspens

On peut en préambule remarquer le principe rappelé par le COR : « La condition de pérennité financière est au coeur du pacte intergénérationnel, sur lequel repose le principe de répartition. » (p. 71). On ne pourrait qu’approuver une telle évidence si elle ne contenait pas implicitement un biais très dommageable pour la clarté du débat public. En effet, ce qui est dit d’un système de retraite par répartition est vrai de tout système : l’illusion est de croire qu’un système par capitalisation pourrait s’affranchir de cette règle immuable qui veut que tout transfert part des actifs pour aller vers les inactifs.[3]

L’économie, l’emploi et les retraites

Une première question, basique en quelque sorte, vient au sujet de la mise en cohérence, d’un côté, des hypothèses d’évolution de l’économie et de l’emploi, et, de l’autre de la possibilité de verser des pensions de retraite de façon pérenne. Vouloir résorber le chômage à long terme en augmentant la durée du travail dans un contexte de croissance de l’économie faible relève de la quadrature du cercle. Faire comme si cette croissance pouvait être élevée dans un monde contraint par la crise écologique relève de l’aveuglement. Se rabattre sur la seule modification de la répartition interne à la masse salariale inchangée globalement pour pensionner des retraités plus nombreux ou bien sur une baisse directe des pensions relève d’un choix de classe qui ne dit pas son nom.

La question du mode de financement des retraites et de la protection sociale en général est d’ordre politique

La plupart des rapports du COR, et les deux derniers ne font pas exception, n’examinent jamais l’hypothèse d’une modification, en serait-ce que sensible, de la répartition des revenus entre travail et capital, c’est-à-dire entre masse salariale et profits, les deux composantes de la valeur ajoutée. Certes, le COR, notamment dans ses abaques, montre que l’arbitrage se fait toujours entre les variations du taux de cotisation, du taux de remplacement et du ratio de dépendance entre retraités et cotisants, ce dernier ratio pouvant lui-même être modifié par la structure démographique, la durée de cotisation, le taux d’emploi de la population en âge de travailler et l’immigration. Mais, à aucun moment, il n’est donné de détails sur le levier du taux de cotisation. Comme si, implicitement, il était admis qu’il ne pouvait s’agir que de la variation du taux de cotisation dit salarial, et jamais du taux dit patronal.

De son côté, le mouvement social reste très partagé, voire très silencieux sur cette question. Si beaucoup de syndicats refusent en général de voir la durée du travail s’allonger par le biais de la durée de cotisation ou par celui de l’âge de la retraite, et bien entendu de voir les pensions baisser, il n’existe encore aucun consensus sur les cotisations. Il convient donc de sortir de l’ambiguïté à la veille, peut-être, d’une nouvelle bataille sur les retraites.
Si on part de l’idée que le financement de la retraite relève d’un arbitrage et donc d’un partage au sein de la richesse créée, maintenant et dans le futur, il n’y a pas d’autre voie possible que de poser directement dans le débat public la question de l’augmentation des cotisations dites patronales. Et pour cela il faut aller plus loin que la formulation « faire cotiser les profits » car elle est source de confusions : elle peut faire croire à un prélèvement sur la finance fictive dont les transactions financières sont le miroir ; en réalité, il faut prélever sur les profits réalisés, inclus dans la valeur ajoutée. Mais deux modalités sont possibles :

  • soit on augmente le taux de cotisations patronales qui restent assises sur les salaires bruts, donc sur une partie de la masse salariale, elle-même partie de la valeur ajoutée : cette modalité a pour inconvénient de faire échapper à cotisations les entreprises avec peu de main-d’œuvre ou qui licencient ;
  • soit on élargit l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble de la valeur ajoutée, en y incluant donc les profits ou tout au moins les profits distribués et non réinvestis : cette modalité ne désavantage pas les entreprises à forte main-d’œuvre et elle a le mérite de faire voler en éclats la distinction absurde entre cotisations salariales et patronales ; il a été opposé à cet argument qu’il reviendrait à épouser la thèse libérale selon laquelle l’emploi est fonction du salaire, mais de mon point de vue, l’élargissement ne consisterait pas à promouvoir une politique d’emploi par la diminution du coût salarial, il prendrait acte de la situation existante où les entreprises avec peu de travailleurs relativement à leur activité bénéficient d’une sorte de « crédit de cotisations » payé par les autres.

Les arguments plaidant pour un maintien de l’assiette actuelle sont à mon avis peu pertinents, notamment celui consistant à dire que l’assiette de la masse salariale montre le lien entre le travail et la part de richesse qui constitue le salaire socialisé. Mais, malheureusement, cette manière de procéder a l’inconvénient de faire oublier que le travail crée toute la valeur ajoutée et pas seulement celle qui lui revient en salaire directe et en salaire indirect socialisé.[4] L’élargissement de l’assiette ne romprait pas le lien entre travail et cotisations, il serait au contraire de nature à le renforcer, une fois balayée la thèse libérale de la fécondité du capital.[5]

Il convient de préciser encore deux choses. Premièrement, on peut très bien séparer la question de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales de celle d’une fiscalisation du financement de la protection sociale avec laquelle elle est parfois confondue, par le biais de l’éventuelle fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu.[6] Deuxièmement, l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée n’a rien à voir avec une TVA, puisque l’élargissement intervient au niveau de la répartition primaire des revenus dans les entreprises alors que la TVA intervient au niveau de l’utilisation des revenus.[7]

Trop souvent, le principe dit de contributivité est opposé à celui de solidarité. Historiquement, les régimes de retraite se sont constitués sur la base de la contributivité, c’est-à-dire que la pension devait refléter pour chacun les cotisations versées, elles-mêmes fonction du salaire. Si ce principe était appliqué intégralement, aucune redistribution ne s’opérerait à travers les retraites. ?? l’appui de ce principe, il était dit autrefois que le système de retraite n’avait pas vocation à réduire les inégalités qui naissaient en amont, dans le système productif. Mais l’existence d’un plafond de la Sécurité sociale, sous lequel et au-delà duquel il n’y a pas les mêmes taux de cotisation appliqués, aboutit à opérer une redistribution à l’envers, des ouvriers et employés vers les cadres. La suppression de ce plafond serait un premier pas pour ne pas aggraver les inégalités préexistantes, sinon pour les réduire.

Autrement dit, si l’on relie les deux points précédents, l’élargissement de l’assiette et la réduction des inégalités, on améliore le rapport de force entre travail et capital et on facilite une tendance à l’universalisation des droits sociaux.

Contre les projets du Medef de plus en plus portés par le gouvernement socialiste

Puisque le levier de l’augmentation des cotisations sociales, autres que lesdites salariales, n’est jamais actionné, il est fatal qu’en temps de crise, les réformes précédentes n’aient apporté aucune solution au problème de l’équilibre financier du système de retraite. Dès lors, les voix du Medef et du gouvernement se joignent pour annoncer une nouvelle réforme qui, cette fois-ci ne prendra plus de gants pour annoncer la couleur : faire payer les retraités actuels et futurs tout en aggravant les conditions d’accès à la retraite.

Le patronat, qui gère avec les syndicats les régimes de retraites complémentaires de l’ARRCO et de l’AGIRC, propose de réformer ces régimes. ?? partir du 1er avril 2013, la valeur du point servant à calculer la pension complémentaire serait relevée de 1 point de pourcentage de moins que la hausse des prix. Les pensions de réversion passeraient de 60 à 56 % de la retraite complémentaire du conjoint décédé, et seraient attribuées à partir de 60 ans seulement, au lieu de 55 actuellement dans l’ARRCO. Les femmes déjà fortement discriminées au travail apprécieront. De façon générale, il s’agirait donc de programmer la baisse du pouvoir d’achat des retraites complémentaires, en attendant de s’attaquer de la même manière aux retraites de base. En ce qui concerne les salariés actuellement actifs, le Medef préconise un recul de l’âge de la retraite complémentaire d’un trimestre par an à partir de 2019. On voit donc qu’il s’agit encore de modifier la répartition des revenus en défaveur du travail. Les marchés financiers seront « rassurés », le gouvernement aussi sans doute, de même que Didier Migaud, dont il faut rappeler sa grande compréhension du problème des retraites, lui qui écrivait naguère : « utiliser les marchés financiers pour financer une partie des retraites » parce que le Fonds de réserve des retraites aurait une « rentabilité supérieure »[8]. Et il préside aujourd’hui la Cour des comptes, c’est dire combien le Medef doit y trouver les siens.

Jusqu’à l’an dernier planait la menace de transformer le système de retraite par annuité de cotisation en un système par points, voire en un système par comptes notionnels, au prétexte que ces deux derniers systèmes s’équilibreraient automatiquement par la variation des pensions. Ces projets semblent pour l’instant mis en sourdine. Il faut dire que la croyance qu’ils étaient capables de résister à des chocs démographiques ou économiques s’est évanouie avec la crise. Mais le COR persiste à croire : « En Suède, l’instauration des comptes notionnels induit que la somme des pensions que chaque génération reçoit à la retraite est égale à la somme des cotisations versées sur son compte pendant qu’elle était active. Ainsi, à taux de cotisation fixe sur le long terme, paramètre présenté en Suède comme un critère d’équité entre les générations, il existe un équilibrage automatique portant sur le taux de remplacement ou l’âge de liquidation de la pension des assurés. » (p. 83, souligné par moi). Cette croyance est fondée sur l’oubli du fait que, quel que soit le système, le versement de pensions à l’instant t est fonction, au plan macroéconomique, du niveau de richesse à cet instant et non pas de celui pendant la vie active antérieure. Aussi, un système par points ou par comptes notionnels ne résout rien. Tout dépend donc des choix de partage de la richesse.

Derrière les retraites, le choix de société

Le choix de société se définit à travers le mode de développement de l’économie adopté.[9] ?? ce titre, on a vu que les hypothèses de croissance économique du COR étaient totalement irréalistes ou surréalistes, c’est selon.

Il se définit aussi dans l’acceptation ou le refus des politiques d’austérité qui font payer la crise capitaliste aux travailleurs et aux retraités.

Il se définit enfin par le type de solidarité qui est promu dans la société. Dans ce temps où crier haro sur la dette est devenu le refrain néolibéral ou sociolibéral, il faut réaffirmer la légitimité de la transmission d’une sorte de « dette sociale » au bon sens du terme entre les générations qui nouent un pacte de solidarité. Celui-ci n’a pas vocation à s’éteindre, parce que, à travers lui, c’est la qualité et la continuité du lien social qui se jouent.[10]

[1] Pour le détail technique des systèmes par points et par comptes notionnels, voir le chapitre 7 du livre d’Attac et de la Fondation Copernic, Retraites, L’heure de vérité, Paris, Syllepse, 2010, « Systèmes de retraites par points et par comptes notionnels : l’individualisation des retraites ».

[2] Il est intéressant de relire ce que nous contestions en 2010 : « Les vrais effets de la réforme », Politis, n° 1108, 24 juin 2010.

[3] Je ne reprends pas ici toutes les analyses de fond élaborées au cours des dernières années et qui restent pertinentes. On pourra les trouver sur mon site.

[4] Pour les détails de cette discussion, voir l’annexe technique ; voir le débat sur le financement des retraites et sur le financement de la protection sociale.

[5] Depuis de nombreuses années, j’ai un débat avec Bernard Friot, retracé dans plusieurs articles : « Les retraités créent-ils la valeur monétaire qu’ils perçoivent ? » ; « Du travail et du salaire en temps de crise », « Réponse à Bertrand Bony ».

[6] Ce n’est pas le sujet ici, mais la question de la fusion éventuelle de l’IR et de la CSG peut, techniquement, s’opérer en préaffectant l’équivalent de la CSG à la Sécurité sociale, ce qui anéantit l’un des arguments opposés à la fusion. D’autre part, indépendamment de cette fusion, donner une assiette élargie identique aux deux prélèvements serait déjà positif.

[7] Voir le contre-rapport sur la TVA sociale, ou bien une chronique sur ce sujet.

[8] D. Migaud, « Abonder le fonds de réserve des retraites », Le Monde, 2 avril 2008.

[9] Voir J.M. Harribey, « La protection sociale pour un mode de développement de qualité ».

[10] Voir ma première chronique dans Politis, n° 751, 15 mai 2003, « Sous les retraites, la dette sociale et le don », et celle parue dans le n° 1111, 15 juillet 2010,« Sous les retraites, la plage », ainsi que l’éditorial de la Lettre du Conseil scientifique d’Attac n° 35, 17 octobre 2010, « Retraites : le mariage non consommé de la philosophie et de la politique ».

Article publié le 21 juin 2013.


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